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Association Amicale des Anciens d'Alcatel Space
CHRONIQUES D'UN MÉTIER de 1963 à 1993
Table | Préf | Intro | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9

Les accords

La coopération avec LCT
Le consortium STAR
Les relations avec ANT
Les accords avec l'Aérospatiale
Les accords «Space Systems Alliance»

Généralités

Les multiples disciplines mises en oeuvre dans la réalisation d'un satellite imposent une collaboration entre les différents industriels spécialisés dans chacune d'entre elles. L'organisation type comprend un maître d'oeuvre et des sous-traitants. Selon l'importance de leur tâche, certains des participants peuvent accéder au rang de cotraitant (ou cocontractant) et partager de ce fait les responsabilités du maître d'oeuvre sur l'ensemble du programme, ce qui nécessite un arrangement contractuel particulier entre les deux parties.

Afin de se préparer à la compétition en vue de gagner un contrat particulier ou une série de contrats qui seraient passés par un client déterminé ou par une certaine catégorie de clientèle, plusieurs industriels peuvent signer préalablement des accords définissant leurs relations et leurs tâches respectives pour atteindre le résultat recherché, ainsi que l'organisation à adopter en cas d'obtention du ou des contrats.

Il existe donc, dans le domaine spatial, de multiples situations où deux ou plusieurs industriels sont amenés à signer, dans un cadre qui peut être national ou international, des accords de natures et de portées très variables, allant de la cotraitance dans un seul contrat à la formation d'un consortium qui vivra pendant de nombreuses années.

Dès le début des activités spatiales en Europe, cette politique fut encouragée par l'ESRO et aboutit à la formation de trois consortiums industriels concurrents qui s'affrontèrent dans les programmes de satellites de cette agence. Cette dernière y voyait de plus l'avantage suivant : à cause de la relative stabilité des consortiums en présence, les équipes qui composaient chacun d'entre eux étaient bien entraînées à travailler ensemble, ce qui leur donnait une meilleure efficacité dont bénéficiait le client, tant au niveau des prix qu'à ceux de la réduction des aléas techniques et de la tenue des délais de livraison.

Dans le présent chapitre ne sont présentés que quelques accords ou projets d'accords établis, tout au moins à leur début, dans un cadre général et avec l'intention de durer au-delà d'un seul programme de satellite. Selon l'époque, le signataire en est Thomson-CSF ou Alcatel Espace. Leurs objets respectifs sont les suivants :

- la coopération avec LCT;

- le consortium STAR;

- les relations avec ANT;

- les accords avec l'Aérospatiale;

- les accords «Space Systems Alliance».
 
 

Un certain nombre d'autres accords sont évoqués dans les chapitres correspondant aux programmes de satellites pour lesquels ils ont été établis. Ils sont rappelés ci-dessous pour mémoire :

- le consortium CIFAS mis en place pour le programme Symphonie;

- les relations avec Lockheed en vue d'Intelsat V;

- les relations avec Hughes pour Intelsat VI;

- l'accord avec RCA pour la proposition Aerosat;

- le groupement d'intérêt économique Eurosatellite créé pour le programme TV-Sat-TDF 1 et poursuivi dans TELE X;

- la tentative d'accord avec Marconi en vue du programme ERS;

- l'accord entre Alcatel Espace et Thomson-CSF permettant, après l'achat par Alcatel de la Division Espace de Thomson-CSF, la poursuite de la collaboration entre les unités spécialisées des deux sociétés dans le domaine des radars embarqués, en particulier pour le programme ERS;

- l'accord «Tevespace» pour l'exploitation de TDF 1 et TDF 2;

- la participation d'Alcatel Espace à Geostar et Locstar.
 
 

La coopération avec LCT


Le Laboratoire Central de Télécommunications est, dans les années soixante-dix, un concurrent sérieux de Thomson-CSF en électronique professionnelle et, en particulier, dans le domaine spatial.

Dès le programme du satellite ESRO 1, dont LCT est le maître d'oeuvre au cours des années 1965 et 1966, le Service NF de Gennevilliers, dirigé par Roland Gosmand, a fourni le récepteur et le décodeur de télécommande ainsi que le duplexeur UHF. Il s'agit là de simples relations entre sous-traitant et maître d'oeuvre, sans aucun autre lien particulier.

À partir de la fin de l'année 1968, l'équipe de Willy Martini, à Corbeville, a été choisie pour fournir à LCT l'ensemble UHF à installer à bord du satellite Eole pour assurer les liaisons avec les ballons, LCT étant le maître d'oeuvre de l'ensemble du système embarqué pour la localisation des ballons.

Le programme Eole, dont il est question dans un chapitre particulier, donne lieu à une coopération qui se déroule sans incident majeur sinon quelques problèmes d'échantillons technologiques avec le CNES.

En 1972 apparaissent deux projets du CNES qui suscitent, bien entendu, l'intérêt de Thomson-CSF. Il s'agit d'assurer la charge du Département ESA au-delà des programmes Symphonie et Intelsat IV. Le programme Aerosat, qui se dessine à l'époque, n'est pas gagné d'avance, et les autres programmes prévus à l'ESRO, où la position du Département en TM-TC est assez bien assurée, ne suffiraient pas à nourrir les équipes.

Les projets du CNES, Tiros N et Dialogue, ne peuvent être que bienvenus, et tous les efforts doivent être faits pour y participer.

Le concurrent principal est LCT. Une coopération entre Thomson et LCT, qui se pose les mêmes problèmes pour son avenir dans le domaine spatial, doit permettre à chacune des sociétés d'avoir au moins une part dans ces programmes.

C'est l'idée qui voit le jour de part et d'autre au cours d'une réunion informelle, le 21 mars 1972, entre Louis Mirabel, Directeur Technique de LCT, et Jacques Chaumeron, Directeur du Département ESA à Thomson-CSF.

Tiros N est un futur satellite météorologique de la NASA où le CNES projette de faire voler un matériel expérimental qui constituera par la suite, en devenant opérationnel, le système Argos. Ce système, qui fait partie actuellement du dispositif international SARSAT (Search And Rescue by Satellite), permet de localiser rapidement, à la surface du globe terrestre, des balises de détresse dont disposent les bateaux, les avions ou tous autres véhicules désirant bénéficier du service.

LCT et Thomson sont tous deux intéressés à la fourniture de la charge utile de localisation embarquée à bord du satellite et, éventuellement, à celle des balises de détresse qui deviendront des matériels de relativement grande diffusion.
 
 

Le consortium STAR


Le consortium STAR, dont la création et l'évolution sont décrits ci-après, est créé en 1970, bien que le texte de l'accord liant ses membres ne soit formellement approuvé et signé qu'en 1972.

Il convient cependant de remonter quelques années en arrière pour trouver la première participation de certains de ses membres à des consortiums constitués pour répondre à des appels d'offres de l'ESRO.

C'est en 1966, à l'occasion de l'appel d'offres lancé par cette organisation pour la construction de deux gros satellites scientifiques, TD 1 et TD 2, que l'on voit apparaître trois groupements industriels concurrents qui donneront naissance, avec ou sans modifications ultérieures, aux trois consortiums Cosmos, MESH et STAR.

L'un d'eux, baptisé EST (European Satellite Team) comprend deux des principaux membres du futur consortium STAR et c'est à ce titre qu'il peut être considéré, avec quelques précautions, comme son précurseur.

À cette époque, l'ESRO a déjà confié la maîtrise d'oeuvre de petits satellites à divers industriels, sans que ces derniers aient tenté de se lier d'une manière durable à leurs sous-traitants.

Par rapport aux programmes précédents, les satellites TD 1 et TD 2 doivent être notablement plus lourds et plus complexes, ce qui provoque une sorte de mobilisation dans l'industrie. Les méthodes utilisées jusqu'alors pour la conception et la réalisation de satellites relativement simples doivent être perfectionnées et faire davantage appel à un travail d'équipe, exploitant au maximum les compétences de chaque membre.

Après diverses négociations, cinq sociétés s'engagent à préparer ensemble l'une des propositions pour la construction de TD 1 et TD 2.

Il s'agit de :

- Elliott Automation Ltd, Royaume-Uni;

- Compagnie Française Thomson-Houston (CFTH), France;

- Fabbrica Italiana Apparechi Radio (FIAR), Italie;

- Royal Netherlands Aircraft Factories (Fokker), Pays-Bas;

- Allemagna Svenska Elektriska AB (ASEA), Suède.
 
 

Le maître d'oeuvre de la proposition est Elliott Automation. Chacun des partenaires a accepté d'y participer de manière exclusive, cette exclusivité n'étant maintenue par la suite qu'en cas d'obtention du contrat correspondant par le maître d'oeuvre qui passera alors des sous-contrats à ses partenaires pour leurs contributions respectives.

Le manque d'expérience de chacun dans un programme de satellite de cette envergure est évident, et il vient naturellement à l'esprit de s'assurer les services, à titre de consultant, d'un industriel américain expérimenté dans le domaine. D'autres l'ont déjà fait pour des programmes antérieurs.

La Compagnie Française Thomson-Houston a, pour des raisons historiques, des relations étroites avec la société américaine General Electric. Créées simultanément en 1893 pour exploiter les brevets de MM. Elihu Thomson et Samuel Houston dans le domaine des moteurs et de la traction électriques, ces deux sociétés ont des accords permanents d'échanges de brevets et de technologie qui, après la Seconde Guerre mondiale, s'étendent des domaines de l'électronique grand public et de l'électroménager à celui de l'électronique professionnelle. General Electric a créé une Division Spatiale, déjà très importante, implantée à Valley Forge (Pennsylvanie). CFTH a déjà fait appel auparavant à ses conseils techniques pour répondre à des consultations du CNES sur l'étude d'un satellite d'astronomie et sur un système de contrôle d'attitude utilisant le gradient de gravité.

L'accord se fait facilement avec Elliott Automation pour faire appel à General Electric qui est accepté par les autres partenaires.

Un groupe de projet est constitué de représentants des sociétés membres, avec pour mission de préparer la proposition. Cette préparation est, en fait, dirigée par General Electric qui impose ses procédures et ses méthodes de travail que les représentants des sociétés européennes ont quelques difficultés à adapter aux exigences de l'ESRO.

Le contrat des satellites TD 1 et TD 2 ayant été gagné par le consortium concurrent MESH, cette première expérience n'a pas de suite pour le consortium EST. La dernière manifestation de présence d'EST, bien qu'il soit alors en cours de dissolution, est, fin 1970 et début 1971, une proposition pour le satellite COS B, de l'ESRO, dont le marché est gagné par un consortium concurrent.

La deuxième étape se situe en 1970, année durant laquelle des événements survenus au Royaume-Uni voient, d'une part, Elliott Automation absorbée par le groupe Marconi et, d'autre part, la société British Aircraft quitter le consortium Cesar dont les principaux membres sont la société française Aérospatiale et la société allemande Bölkow.

Si le consortium MESH échappe au remue-ménage déclenché par ces deux événements, il n'en est pas de même pour les deux autres. Durant l'été 1970, une activité importante de négociations, accords verbaux suivis de volte-face, a lieu entre divers partenaires, chacun essayant d'attirer les autres pour constituer un consortium le plus puissant possible.

C'est ainsi que naît finalement le consortium STAR (Satellites de Télécommunications Applications et Recherche) à l'automne de 1970. Il comprend initialement neuf sociétés membres :

- British Aircraft Corporation Ltd (BAC), Royaume-Uni;

- Dornier Systems GmbH, République fédérale d'Allemagne;

- Thomson-CSF (ex-CFTH), France;

- Contraves AG, Suisse;

- CGE FIAR, Italie;

- Fokker VFW-NV, Pays-Bas;

- Montedel (Montecatini Edison Electronica SPA), Italie;

- LM Ericsson Telefonaktiebolaget, Suède;

- Société Européenne de Propulsion (SEP), France.
 
 

Avant d'entrer dans les détails du statut et des règles de fonctionnement du consortium, il peut être intéressant de passer en revue les considérations qui président à sa constitution.

Pour qu'une proposition remise à l'ESRO se transforme en un contrat de fourniture, il faut non seulement que l'examen de cette proposition par les spécialistes de cette organisation aboutisse à un rapport favorable, mais encore que la proposition d'attribution du contrat, présentée par le Directeur Général de l'ESRO, soit approuvée par un vote de la majorité des délégués de tous les États membres siégeant au Comité de politique industrielle (IPC), et cela sur la base d'une voix par État membre.

Outre la nécessité de se conformer aux différents cahiers des charges et de présenter une proposition de qualité dans tous les domaines : technique, prix, organisation et gestion du projet, et répartition géographique des tâches, le succès dépend également, il faut bien le dire, d'une «campagne électorale» menée auprès des différents délégués nationaux, l'expérience ayant confirmé ultérieurement qu'un rapport favorable des spécialistes de l'ESRO n'entraînait pas automatiquement un vote des délégués dans le même sens.

La composition du consortium STAR est donc entreprise avec les objectifs suivants :

1- maintenir d'étroites relations à long terme entre les sociétés membres;

2- éliminer, au début de chaque programme, le temps nécessaire aux équipes de travail pour faire connaissance les unes avec les autres;

3- spécialiser chaque membre dans une catégorie bien définie de sous-système ou d'équipement, chacun sachant ainsi dès le début de chaque programme ce qu'il a à faire et comment le faire;

4- bénéficier du fait que la répétition des mêmes tâches d'un programme à l'autre permet, dans une certaine mesure, de réutiliser les mêmes conceptions et les mêmes équipements, réduisant ainsi les coûts;

5- assurer la représentation du consortium dans un maximum de pays par des membres permanents de celui-ci et non par de simples sous-traitants occasionnels;

6- assurer des relations de travail stables avec des sociétés des pays où le consortium n'a pas de membre permanent;

7- équilibrer les différentes spécialités au sein du consortium afin de satisfaire au mieux aux exigences du «juste retour».
 
 

L'organisation et les méthodes de travail du consortium ainsi que les droits et devoirs de ses membres sont décrits formellement dans un texte d'accord (Memorandum of Agreement) signé le 20 juin 1972 par les directions des neuf premières sociétés membres. Ce texte est ensuite soumis par BAC, société ayant assuré la première présidence, à l'agrément de la commission de la Communauté européenne de Bruxelles.

Il est clairement exprimé dans cet accord qu'il constitue, pour les parties signataires, un engagement sur l'honneur, sans aucun statut juridique.

D'une manière générale, un membre du consortium peut quitter ce dernier moyennant un certain préavis. Dans ce cas, il reste temporairement engagé à certaines obligations, concernant notamment la confidentialité de certaines informations ainsi que la sauvegarde de la bonne fin du (ou des) projet(s) en cours au(x)quel(s) il participe.

Inversement, en dehors des membres ayant signé l'accord initial, toute entreprise établie dans un pays membre de l'ESRO, puis de l'ESA, peut devenir membre du consortium sur décision du Conseil et à condition d'accepter les termes de l'accord existant.

La politique générale du consortium est définie par un Conseil de Direction, composé d'un représentant de chaque société membre, assisté éventuellement d'experts, qui se réunit au moins une fois tous les six mois. Initialement, la présidence du Conseil doit être assurée successivement, pour des périodes d'un an, par les représentants des pays dont les contributions à l'ESRO sont les plus importantes : la France, la RFA et le Royaume-Uni.

Quelques années plus tard, la contribution de l'Italie au budget de l'ESA ayant atteint 15 %, il sera décidé d'ajouter ce pays à la liste de ceux dont les sociétés peuvent prendre périodiquement la présidence.

Le premier Président de STAR est Ray Munday, de BAC, suivi de Vladimir Altovsky de Thomson-CSF, puis de Manfred Kuebler de Dornier Systems. Marco Gerevini de Laben (ex-Montedel) est le premier Président italien. Seront ensuite Présidents au cours des années : E. S. Rothery et D. Hunt de British Aerospace, Jacques Chaumeron de Thomson-CSF puis d'Alcatel Espace, Jean-Claude Husson d'Alcatel Espace, M. Hollstein de Dornier Systems.

À l'heure où ces lignes sont écrites (1992), le Président est Jean-Claude Husson.

L'une des principales tâches du Conseil est de décider si un projet qui fait l'objet d'un appel d'offres de l'ESA doit être qualifié de «projet STAR», c'est-à-dire un projet pour lequel le consortium entreprend de remettre une proposition.

En cas de décision négative ou au cas où, plus tard, le contrat n'est pas gagné, les membres du consortium deviennent entièrement libres de participer au projet avec des tiers. Il en est de même pour un membre du consortium qui n'aurait pas été admis à participer à un projet STAR. Si, par contre, le Conseil décide que le consortium remettra une proposition, les membres appartenant aux pays qui financent le projet se trouvent engagés dans l'effort commun en vue de gagner le contrat et, en cas de succès, dans l'exécution de ce contrat.

À cette fin, le Conseil désigne un maître d'oeuvre parmi les industriels des pays ayant les plus fortes participations financières au projet.

À partir de cet instant, le maître d'oeuvre mène la proposition et le projet dans une structure industrielle normale. Il constitue un groupe de projet chargé de diriger l'exécution du programme, et chaque membre du consortium désigne un représentant chargé d'assurer la liaison permanente avec le groupe de projet.

Il procède à la répartition des tâches entre les membres du consortium, compte tenu des désirs exprimés par le client, des exigences du «juste retour», des aptitudes et capacités de chacun des membres et, dans la mesure du possible, de leurs désirs.

Dans le cadre de l'exécution d'un projet STAR, chaque membre du consortium accepte de se conformer à un certain nombre d'obligations, habituelles dans ce type d'organisation :

- faire tous les efforts nécessaires pour que le consortium gagne le contrat et mène à bien son exécution…

- mettre à la disposition du consortium toute information technique utile au projet et dont il peut disposer librement;

- maintenir confidentielles les informations désignées comme telles au sein du consortium.
 
 

L'exclusivité de participation à un programme du consortium ne s'applique pas, bien entendu, aux fournitures de produits standard, non fabriqués sur mesure et dont une société ne peut refuser la vente à des tiers.

Au cours de la vie du consortium, qui se poursuit de nos jours, sa composition sera modifiée pour diverses raisons.

La société ERNO, membre du consortium MESH, ayant pris une importante participation dans le capital de Fokker, cette dernière société juge qu'il ne lui est plus possible de rester membre du consortium STAR. Inversement, la société espagnole Sener demande et obtient de devenir membre de STAR au bout de quelques années.

Un problème particulier se pose en 1977 lors de la fusion entre les sociétés britanniques British Aircraft (BAC), membre de STAR, et Hawker Siddeley Dynamics (HSD), membre de MESH, pour constituer British Aerospace.

À la suite d'un arrangement interne au sein de cette nouvelle société, la Division de Bristol (ex-BAC) de British Aerospace est autorisée à rester membre de STAR en se spécialisant dans les satellites scientifiques. Le consortium comprend donc toujours neuf membres appartenant à sept pays de l'ESA.

Les programmes de satellites de l'ESRO et de l'ESA sont habituellement divisés en trois phases :

- la phase A consacrée à l'étude de faisabilité du satellite;

- la phase B consacrée à la définition des spécifications du satellite et de ses différents sous-systèmes;

- les phases C et D consacrées à la qualification des matériels et à la fabrication et aux essais des modèles de vol.
 
 

La politique du consortium STAR est de laisser ses membres maîtres d'oeuvre potentiels libres d'entrer en compétition pour obtenir des contrats de phases A. C'est ainsi qu'entre 1972 et 1983, par exemple, les sociétés British Aerospace, Dornier Systems et Thomson-CSF obtiennent un total de huit contrats de phase A dans le domaine des satellites scientifiques et treize contrats dans celui de l'observation de la Terre.

Par conséquent, au cas où un membre de STAR obtient et mène à bien un contrat de phase A, il est presque automatiquement désigné comme maître d'oeuvre du consortium pour les phases suivantes. Dans le cas où aucun contrat de phase A n'est obtenu dans le consortium pour un certain projet, le Conseil désigne alors si nécessaire, par un vote, le maître d'oeuvre du consortium qui mènera la compétition en vue d'obtenir les contrats des phases suivantes.

Les satellites suivants sont construits par le consortium STAR pour l'ESRO et pour l'ESA :

GEOS 1 et GEOS 2, satellites géostationnaires d'étude de la magnétosphère.

GEOS 1, lancé le 20 avril 1977, est victime d'un défaut du lanceur et ne peut atteindre l'orbite géostationnaire. Cependant, il mène à bien une grande partie des expériences prévues dont le programme est poursuivi jusqu'en décembre 1980.

GEOS 2, lancé le 14 juillet 1978, prévu pour une durée de deux ans, est utilisé pendant cinq ans avant d'être éjecté de l'orbite géostationnaire. Le maître d'oeuvre de GEOS 1 et 2 est British Aircraft, devenu British Aerospace au cours du programme.

ISEE B, satellite d'étude de la magnétosphère et des vents solaires, lancé le 22 octobre 1977 dans le cadre d'un programme mettant en oeuvre trois satellites, dont l'un construit sous la responsabilité de l'ESRO et les deux autres (ISEE A et C) sous la responsabilité de la NASA. ISEE B, dont le maître d'oeuvre est Dornier Systems, poursuivra sa mission pendant une dizaine d'années, la durée nominale prévue ayant été de trois ans.

ISPM, baptisé plus tard Ulysses, satellite devant sortir du plan de l'écliptique pour étudier les pôles du soleil. Le développement de ce satellite débute en 1979 et son lancement doit être effectué par la navette américaine. Terminé en 1983, il n'est lancé que le 6 octobre 1990. Après être passé près de la planète Jupiter, il se dirige au moment où ces lignes sont écrites (1992) vers le lieu d'observation d'un des pôles du soleil. Le maître d'oeuvre d'Ulysses est Dornier Systems.

Giotto, sonde lancée le 2 juillet 1985 pour intercepter la comète de Halley le 13 mars 1986. Partiellement endommagé lors du passage dans la queue de la comète mais encore utilisable, Giotto sera mis en sommeil puis réactivé fin 1991 pour aller à la rencontre d'une autre comète. Le maître d'oeuvre de Giotto est British Aerospace.
 
 

Au moment où ces lignes furent écrites, le consortium STAR construisait, sous la maîtrise d'oeuvre de Dornier Systems, les satellites Cluster, constellation de quatre satellites identiques qui, espacés de quelques centaines à quelques milliers de kilomètres, devaient étudier les interactions des flux de particules solaires avec le champ magnétique terrestre. Leur lancement par Ariane 5 eut lieu le 4 juin 1996 et fut un échec.

Compte tenu des mouvements et des changements de nom intervenus depuis quelques années, la composition du consortium STAR à cette date était la suivante :
 
 

Les relations avec ANT

Les premiers contacts


Les relations entre ANT et ce qui deviendra Alcatel Espace ont existé depuis le début du programme Symphonie en 1967. Dans le consortium CIFAS (Consortium Industriel Franco-Allemand pour Symphonie), qui revêt la forme d'un GIE (groupement d'intérêt économique), figurent Thomson et CSF, avant leur fusion, ainsi que la société allemande Telefunken dont une division basée à Backnang est chargée du domaine des télécommunications. Telefunken fusionnera ensuite avec AEG pour former AEG-Telefunken. La division de Backnang prend finalement le nom d'ANT après ses rachats successifs par le groupe Allianz puis par le groupe Bosch, et, par simplification, c'est par ce nom qu'elle sera désignée dans ce qui suit.

Après Symphonie, ANT et le Département DSP de Thomson-CSF coopèrent dans le programme du satellite OTS de l'ESRO. Comme il est relaté dans le chapitre consacré à ce satellite, les deux sociétés sont d'abord concurrentes pour la charge utile et, après quelques péripéties, DSP se retrouve sous-traitant d'ANT pour lui fournir les récepteurs en bande Ku et les filtres multiplexeurs de sortie (OMUX). Ces matériels sont livrés par DSP en 1976.

La même coopération se poursuit de 1978 à 1982 pour les cinq satellites du programme ECS achetés par l'ESA pour le compte d'Eutelsat.

À partir de 1980, ANT et Thomson-CSF se retrouvent dans un nouveau consortium de droit allemand, nommé Eurosatellite, pour la fourniture des satellites de diffusion de télévision TV-Sat et TDF 1. Ce programme est suivi de celui du satellite de télévision suédois TELE X, en 1982.
 

La Charge Utile Franco-Allemande (CUFA)


Depuis le programme Symphonie, qui a procuré aux sociétés membres du CIFAS un accroissement d'activité relativement important dans le domaine spatial, ces dernières recherchent en permanence des moyens de valoriser les acquis et d'éviter une récession trop importante après la fin des travaux. Les administrations allemande et française ne paraissant nullement pressées, et cela pour de multiples raisons, de donner une suite à ce programme, les industriels examinent tout naturellement les possibilités de débouchés à l'exportation.

Dans les réunions qui traitent de ce sujet, l'un des problèmes majeurs qui se font jour est celui du pilotage des différentes actions à entreprendre et de la maîtrise d'oeuvre éventuelle des programmes. Jusqu'alors, ceux que l'on est convenu d'appeler les «avionneurs» ont occupé le «haut du pavé» et les «électroniciens» se sont contentés du rôle de sous-traitant.

La gestion du CIFAS a été confiée à l'Aérospatiale. Les sociétés dont l'essentiel de l'activité se situe dans l'électronique, et plus particulièrement dans les télécommunications, font valoir qu'elles sont certainement les mieux placées pour diriger les relations avec les acquéreurs potentiels de satellites de télécommunications ainsi que les programmes correspondants.

Cette position entraîne un certain nombre de polémiques au sein du consortium et a évidemment pour résultat de resserrer les liens de solidarité entre les «électroniciens», en l'occurrence ANT et Thomson-CSF, qui entreprennent à deux une concertation sur les actions à entreprendre pour préserver l'avenir de leurs activités dans le domaine.

Les études financées par l'ESRO pour les équipements de répéteurs en bande Ku ont donné aux deux sociétés, chacune dans leur spécialité du moment, une compétence indiscutable que leurs concurrents américains, par exemple, n'ont pas encore eu l'occasion d'acquérir. C'est donc vers la bande C, qui semble à l'époque offrir des débouchés plus importants, qu'il paraît opportun de s'orienter pour de nouveaux investissements.

Pendant toute l'année 1975 ont lieu de nombreux échanges de vues. À la fin de l'année, les deux parties se mettent d'accord sur la nécessité de se partager les études et le développement des principaux éléments d'une charge utile de satellite de télécommunications en bande C. Dans les grandes lignes, et compte tenu des expériences respectives acquises en bande Ku, ANT doit se charger de la partie émission (ATOP, amplificateurs de canaux) et Thomson-CSF de la partie réception. Cette dernière partie représentant, dans une charge utile complète à grand nombre de canaux, un montant financier nettement inférieur à celui de la première, l'équilibre peut être rétabli en agissant sur le partage des filtres multiplexeurs d'entrée et de sortie, où chacun des partenaires souhaite conserver une compétence. C'est ainsi que naît le projet de la «Charge Utile Franco-Allemande» désignée sous le sigle CUFA. Il reste à trouver des sources de financement, chaque société devant prendre en charge la part dont elle est responsable. C'est là qu'apparaissent d'importantes différences entre les législations et les procédures en vigueur dans chacun des deux pays.

En Allemagne, le financement des études par une administration gouvernementale est, d'après ANT, quasi impossible mais les coefficients de CHP (Coût Hors Production) que les entreprises peuvent ajouter au CPP (Coût Prévisionnel de Production) y sont plus élevés. En France, Thomson-CSF, principal fournisseur de l'administration des PTT dans le domaine des faisceaux hertziens, en obtient chaque année le financement d'un certain nombre d'études. Malheureusement, en 1975-76, et malgré les efforts de certains de ses membres, cette administration, bien qu'ayant participé au programme Telstar en 1962-63, n'est pas encore prête à engager des crédits sur des études dans le domaine des satellites. Quant au CNES, il s'intéresse aux études concernant les plates-formes, mais ne souhaite pas intervenir dans le domaine des charges utiles de télécommunications.

Le Département DSP, sous la direction de Jacques Chaumeron, a établi un programme d'études qui comprend trois axes principaux :

- les récepteurs en bande C;

- les antennes multisources à faisceaux formés;

- la technologie des matériaux stratifiés à base de fibres de carbone appliquée aux filtres en bande C et aux sources d'alimentation d'antennes.
 
 

Sur l'initiative d'André Lepeigneux, Directeur de la Division DFH, dont dépend DSP, un dossier est établi en vue d'obtenir un prêt au titre de l'aide au développement. Ce prêt, d'un montant de 18 MF, doit permettre de financer des travaux étalés sur une période de trois ans. Les études, commencées fin 1976, durent jusqu'au début de 1980, avec quelques péripéties et ralentissements passagers dus aux soucis des responsables financiers de la Division DFH au sujet de la rentabilité à très court terme du Département DSP.

Elles permettent néanmoins d'effectuer la plus grande partie du programme prévu. En particulier, les résultats obtenus dans le domaine des fibres de carbone, sous la responsabilité de Jacques Urien, se traduisent par la présentation d'une source d'alimentation d'antenne ultralégère à neuf cornets, étudiée au Service Antennes de Bruno Vidal Saint-André, en vue d'une proposition pour le satellite Brazilsat et, plus tard, par la mise au point d'IMUX et d'OMUX en bande C qui permettent à la charge utile du satellite Telecom 1 de rester dans les limites de masse spécifiées. Quant aux études portant sur le récepteur en bande C, elles sont effectuées à Levallois sous la responsabilité de Pierre de Bayser et permettent également d'aborder le programme Telecom 1 dans de bonnes conditions.

En fait, ce programme, qui continuera d'être appelé CUFA jusqu'à sa fin, n'a plus rien de franco-allemand et ce n'est que six ans plus tard, à partir de 1984, que des échanges de vues seront repris avec ANT, avec l'intention d'aboutir à un accord formel.
 

L'accord entre ATES et ANT


Comme il a été dit plus haut, les contacts entre DSP, puis DES, et ANT n'ont jamais été complètement interrompus en raison de la coopération quasi continue des deux sociétés dans les programmes en cours.

En 1984, Alcatel Espace (ATES), nouvellement créée, se trouve dans une situation difficile. Elle a connu une expansion beaucoup trop rapide depuis 1982. Si les embauches nécessaires ont pu être faites en nombre de personnes, la qualité requise n'a pu être atteinte, pour certaines catégories de personnel, qu'au bout d'une période de formation relativement longue. La difficulté à tenir les délais de livraison dans de telles conditions a conduit à quelques excès d'embauches et donc, au bout d'un certain temps, à des sureffectifs qui aboutissent au plan social de 1985.

Des solutions sont recherchées pour faire face, dans l'hypothèse d'une nouvelle période de croissance, à un accroissement brutal des charges sans pourtant augmenter significativement les moyens en effectifs ou en investissements.

Le tissu industriel de sous-traitants locaux capables de soulager ATES est insuffisant en région toulousaine. Rares sont ceux disposant de moyens adaptés au secteur spatial et habilités par les agences. Dans ces conditions, les solutions sont limitées : soit confier des sous-systèmes entiers à des prestataires habilités, en l'occurrence des concurrents, auquel cas la marge brute part avec le travail, soit négocier un accord avec un partenaire connaissant les mêmes difficultés qu'ATES en se répartissant les études et la réalisation des équipements en fonction des points forts de chacun, dans le but d'améliorer la rentabilité et de mieux étaler les pointes et les creux de charges.

Cette dernière idée est soumise aux dirigeants de la Space Communications Systems Division d'ANT qui, et en particulier le Dr Hartbaum, Directeur de cette Division, acceptent d'entrer en négociations en vue de conclure un accord formel de coopération.

Les pourparlers sont menés du côté d'ATES par une équipe composée d'Arlette Lefeuvre, pour la partie juridique, de Georges Malgoire, pour les questions financières, et de Jacques Chaumeron et Claude Michaud, pour la partie technique, avec une participation occasionnelle de Michel Lasalle. Du côté d'ANT, les principaux interlocuteurs sont MM. Stoesser, Folgmann et Schnabel.

Au bout de quelques réunions, après qu'un premier projet d'accord, rédigé en grande partie par les représentants d'ATES, a été mis sur la table, il apparaît qu'il sera assez difficile d'obtenir rapidement des décisions fermes de la part des représentants d'ANT. La ligne de base étant de définir un domaine de spécialité préférentiel pour chacune des deux sociétés, aucune des parties ne souhaite cependant abandonner complètement la possibilité d'un accès à la spécialité de l'autre.

Des textes de compromis sont régulièrement mis au point. À la fin des réunions, les représentants d'ATES, généralement auteurs de ces propositions, pensent avoir obtenu un accord de leurs partenaires. Malheureusement, à la réunion suivante, ANT, après mûre réflexion, revient avec des objections qui remettent en question une bonne partie des acquis.

Une vingtaine de réunions sont tenues, à Backnang ou à Courbevoie, durant les années 1984 et 1985. De plus, environ tous les six mois, des réunions à haut niveau ont lieu entre Jacques Imbert, Président d'ATES, et son homologue d'ANT, le Dr Weber.

Finalement, pendant le dernier trimestre de 1985, la haute Direction d'ATES, en l'occurrence Jacques Imbert et Jean Valent, perd patience et fait accélérer la rédaction d'un document entérinant les rares points d'accord déjà obtenus. C'est ainsi qu'est signé, le 11 février 1986, par Jacques Imbert, le Dr Weber et le Dr Hartbaum, un «accord» qui n'est en fait qu'une déclaration de bonnes intentions réciproques, permettant une recherche de rationalisation des études et des charges de travail, sans règles contraignantes de partage d'activités.

Les cas où l'accord sera mis en pratique seront peu fréquents. Le programme Hermès permet à ATES et à BTM (filiale belge d'Alcatel NV) de faire un premier essai de coopération avec ANT. Ce dernier est consulté en priorité par ATES pour des sous-traitances dans les affaires Telecom 2 et Intelsat VII et y obtient des contrats grâce à des efforts considérables sur les prix. La réciproque ne joue pas en faveur d'ATES. Il faut admettre qu'à l'exception du programme DFS-Kopernikus, il n'existe aucun programme à direction allemande où la part d'ANT est suffisamment importante pour laisser de la place à une sous-traitance à ATES. Le seul cas où une réelle coopération pourrait peut-être jouer est le projet de satellite espagnol Hispasat, mais le contrat est gagné par MATRA Marconi Space et la part qui aurait pu revenir à ATES est dévolue bien naturellement à sa société soeur espagnole, Alcatel Espacio.

Plus généralement, alors qu'ATES est en pleine expansion et devient un acteur majeur du jeu spatial européen, au même titre qu'Aérospatiale, DASA ou MATRA Marconi Space, le rôle d'ANT ne fait que se rétrécir.

La vie de cet accord est assez bien représentée par la fréquence des comités de direction (Steering Committees) qui y sont prévus. Ils se tiennent à peu près régulièrement au début, puis à intervalles de plus en plus grands, jusqu'à disparaître vers 1989.
 
 

Les accords avec Aérospatiale


Par comparaison avec son homologue américain, le marché spatial européen est restreint : s'il est analogue au niveau des programmes civils, il n'a rien de comparable au plan militaire. Or, aux États-Unis c'est essentiellement le secteur militaire qui paye les développements de satellites nouveaux, les marchés civils peuvent donc être pris à coût marginal. Par ailleurs, les programmes spatiaux américains sont plus «récurrents» que les programmes européens, qui doivent s'adapter à un paysage politique hétérogène. Si l'on ajoute à ces facteurs structurels l'effet de la faiblesse du dollar depuis plusieurs années (de l'ordre de 15 à 25 % en dessous de sa parité de pouvoir d'achat), il ne faut pas s'étonner de voir les constructeurs américains soumissionner à l'export à des prix parfois inférieurs de 30 % à ceux des constructeurs européens.

Par ailleurs, l'Europe spatiale reste morcelée entre de nombreux constructeurs, et «l'amour-propre» national est tel que les concentrations intra-européennes restent difficiles. Les maîtres d'oeuvre se livrent à une concurrence effrénée au détriment des producteurs (charges-utilistes ou équipementiers) obligés de reconsidérer en permanence les fonctionnalités de leurs équipements au prix de surcoûts d'études considérables. En contrepartie, les équipementiers ou charges-utilistes n'étant pas rattachés à un maître d'oeuvre de satellite peuvent offrir leurs produits à l'ensemble des constructeurs finals.

Depuis de nombreuses années, Alcatel Espace était consciente de la nécessité de trouver une solution pour pouvoir dialoguer en direct avec le client final afin de lui permettre de mieux «vendre ce qu'elle sait faire». Pour cela il fallait se rapprocher de la maîtrise d'oeuvre, sans pour autant chercher à ajouter son nom à la liste des maîtres d'oeuvre européens (dont déjà deux en France : Matra et Aérospatiale). Dans ce but, une seule solution raisonnable apparaissait : un accord étroit (sous une forme ou une autre) avec l'un des maîtres d'oeuvre français.

Depuis longtemps, des tentatives de dialogue avaient été nouées entre Alcatel et Aérospatiale à l'initiative de deux hommes : Jean-Marie Luton et Jean-Claude Husson. Elles n'avaient pas abouti.

Début 1989, à l'initiative des deux mêmes hommes (qui ont alors, l'un et l'autre, changé d'entreprise et de fonction), de nouveaux contacts sont pris. Les principes abordés visent à créer un joint-venture à 50-50 entre Alcatel Espace et les activités spatiales d'Aérospatiale-Cannes sous le «management» d'Alcatel Espace. Le périmètre concerné doit être les satellites, les activités système, les stations de contrôle, les cases à équipements de missiles nucléaires, autant d'activités exercées dans les centres de Toulouse et de Cannes (plus quelques équipes aux Mureaux).

Deux équipes de négociation sont mises en place par les deux sociétés. Pour Aérospatiale : MM. Michot, Chauvallon, Couillard, Abadie et Blancpain. Pour ATES : MM. Husson, Valent, Silvère, Malgoire et Michaud. Les financiers de ces deux équipes (MM. Blancpain et Malgoire) vont procéder à une évaluation des actifs nets de chacun des partenaires. Partant de valeurs comparables avec les règles comptables de chacun, on aboutira ultérieurement à un avantage significatif en faveur d'ATES avec des règles comptables communes, ce qui ne facilitera pas la négociation.

Suite à un entretien entre les Présidents Henri Martre et Pierre Suard, un projet de protocole est élaboré début mai 1989, puis paraphé début juin. Les contacts nécessaires avec les administrations de tutelle ont déjà été pris : ce qui achoppe, c'est la fameuse déclaration du Président François Mitterrand sur le «ni-ni» (ni nationalisations complémentaires, ni privatisations). Il semble alors que, l'activité de Cannes n'étant pas significative dans Aérospatiale, au sens qu'en donne le texte du ni-ni, l'opération est réalisable. Un calendrier précis des opérations de création d'un GIE entre Aérospatiale-Cannes (filialisée) et Alcatel Espace est arrêté. Les organisations syndicales sont informées des projets.

L'exposé des motifs de l'opération permet de bien en recentrer l'intérêt : «Une situation industrielle européenne complexe et fragile. Le constat que l'on peut faire actuellement en Europe montre qu'une stratégie doit être élaborée dans le domaine des satellites, en particulier dans celui des télécommunications. Quel est ce constat ?

- une activité industrielle éparpillée et une dizaine de sociétés candidates aux maîtrises d'oeuvre;

- des alliances industrielles peu structurées mais nécessaires pour construire un satellite complet;

- une pression grandissante des constructeurs américains sur les marchés commerciaux européens;

- un effort budgétaire des agences spatiales tourné prioritairement vers l'infrastructure orbitale.
 
 

L'industrie spatiale française doit réagir devant cette situation :

- établir une position industrielle puissante et structurée pour ne pas être mise en position de faiblesse par les regroupements industriels en cours (RFA, Italie…);

- résister à la pression des constructeurs américains pour tenir le marché européen des satellites commerciaux et se mettre en position de force pour conclure des alliances.»
 
 

Cette double nécessité doit amener à dépasser une situation historique de séparation avionneurs-électroniciens. La fusion Aérospatiale-Alcatel dans le domaine des satellites est idéalement complémentaire au plan des métiers. Les deux groupes industriels ne sont pas concurrents et ils ont une longue habitude de coopération (Symphonie, TDF 1, TELE X, Eutelsat II…).

Malgré ces débuts prometteurs, la négociation - peu à peu - va s'enliser. En octobre, les points de vue quant à la structure du joint-venture se sont écartés : pour Alcatel, l'efficacité doit prévaloir, donc la fusion. Pour Aérospatiale, chez qui le pouvoir syndical est fort, les deux activités doivent rester distinctes, et la structure commune se résumant en un GIE de coordination, sans pouvoir réel. En novembre, la réunion officielle d'information des comités d'entreprise n'a pas lieu. Fin décembre, plus personne ne croit encore au projet. Comme le Phénix, il renaîtra de ses cendres en avril 1990. Aérospatiale a fait entrer M. Godechot dans son équipe de négociation. Quelques réunions vont avoir lieu qui aboutiront à de nouvelles évaluations des actifs de chacun, la part d'ATES restant nettement plus importante que celle d'Aérospatiale-Cannes. Mais la foi n'y est plus et le projet s'endort de nouveau.

Quelles sont les raisons de cet échec ? Comme toujours, elles sont probablement nombreuses et diffuses, mais il est possible d'en dégager quelques-unes :

- des expériences difficiles dans le domaine des joint-ventures à 50-50 vécues différemment par chacun des groupes : Aérospatiale avec Thomson-CSF et Alcatel-Alsthom avec GEC;

- des raisons d'ordre social à Cannes. Dans cette région, la qualité de vie est exceptionnelle et nul ne souhaite s'en écarter. Or, Toulouse est la «capitale de l'espace» avec le CNES, Alcatel, MATRA et l'important tissu de sous-traitants environnant. D'aucuns craignent donc qu'en cas de fusion, la force d'attraction de Toulouse ne soit trop importante. Le «lobbying» des partenaires sociaux d'Aérospatiale sera très fort;

- des raisons personnelles : si Alcatel «tient le manche», la promotion des cadres de Cannes peut en souffrir;

- des raisons politiques : derrière le ni-ni s'abritent des pressions politiques divergentes et délicates à gérer dans la période de cohabitation que connaît alors la France;

- des raisons qui, probablement, tiennent à la personnalité très différente des Présidents d'Alcatel et d'Aérospatiale;

- enfin, un déséquilibre de la valeur comptable des activités apportées.
 
 

Et pourtant l'idée en vaut la peine et rien n'interdit de penser que la force des événements ne la ramènera pas à la surface !
 

Les accords bipartites avec l'Aérospatiale


À la fin de l'année 1990, ATES, Aérospatiale et Alenia décident de prendre une participation de près de 50 % dans le capital de Space Systems Loral. DASA les rejoindra quelques mois plus tard. Par ailleurs, ATES et Aérospatiale ont obtenu ensemble plusieurs succès commerciaux qui nécessitent la mise en place de règles communes de gestion de ces affaires. C'est ainsi que naît l'idée de résumer dans un accord de coopération le «mode d'emploi» des relations entre les deux sociétés.

C'est dans ce but que Michel Delaye et Jacques Imbert vont signer, le 1er mars 1991, un accord de coopération communément appelé «accord bipartite» afin de le distinguer d'autres accords concernant notamment les relations entre actionnaires européens de Space Systems Loral.

Après l'échec de la tentative de rapprochement des activités spatiales d'Alcatel et d'Aérospatiale en 1989, que peut bien comprendre cet accord ? Il ne s'agit pas d'un «remake» du précédent projet. Toutefois, une idée domine : améliorer la profitabilité de chacun.

Comment ? Par une meilleure intégration des spécialités de chacun et une rationalisation des activités permettant une couverture aussi large que possible du domaine des satellites, s'appuyant sur les compétences commerciales et sur l'influence des deux groupes.

L'objet de l'accord porte sur les modalités et conditions applicables à la coopération entre les parties dans les domaines de la conception, de la réalisation et de la commercialisation des activités dans le secteur des télécommunications spatiales et connexes (militaires). Les parties doivent également rechercher une extension du domaine ci-dessus, en particulier l'observation, la météorologie, la science, etc.

Constatant la complémentarité de leurs activités respectives, les parties conviennent de répartir plus précisément leurs activités techniques et industrielles. Un Comité de Direction se réunit tous les mois afin d'examiner notamment les projets d'alliances industrielles, les consortiums projetés ou existants, les prix des offres, les objectifs de développement, les projets de contrat d'agent, etc. Ainsi un plan d'actions commerciales est-il élaboré, permettant de mieux coordonner l'activité des réseaux commerciaux de chacun. Par ailleurs, un comité de développement doit permettre de coordonner les politiques-produits menées par chacune des parties afin de les rendre compatibles.

En fait, cet accord ne sera jamais vraiment opérationnel. Les intérêts de chacune des parties vont vite se révéler centrifuges, en particulier dans le domaine de la défense qui va rapprocher un peu plus Aérospatiale de son «partenaire naturel», en l'occurrence DASA. Prévu pour durer dix ans, cet accord sera résilié par les deux parties début 1995.
 

Les accords «Space Systems Alliance»


Dans sa «Lettre du Président» qui introduit le rapport du conseil d'administration à l'assemblée générale des actionnaires d'ATES du 5 juin 1992, Jacques Imbert écrit : «L'Europe de 1993 a devant elle un marché des télécommunications et de l'observation spatiales en plein développement, dû tant au remodelage politique mondial qu'au besoin d'une auscultation permanente de notre planète Terre. Devant l'âpreté de la compétition internationale, il fallait qu'une organisation industrielle de souche européenne vît le jour : une organisation ouverte aux idées, techniques et commerce des cinq continents, mais aussi respectueuse des soucis de chacun des États européens. C'est chose faite avec la Space Systems Alliance. L'an passé (…) je formais des voeux pour que d'autres partenaires rejoignent la “Space Systems Alliance” constituée par Alcatel Espace, Aérospatiale, Alenia, Space Systems/Loral. Ils ont été exaucés puisque DASA Deutsche Aerospace (dont MBB et Dornier sont les représentants dans le domaine spatial) a pris la double décision de participer aux accords commerciaux, scientifiques et industriels de la Space Systems Alliance et d'entrer à parts égales avec les trois membres européens dans le capital de Space Systems/­Loral.»

C'est ainsi qu'au début de l'année 1991 les membres du consortium constitué par ATES, Aérospatiale, Alenia et Space Systems/Loral (détenu à 49 % par les partenaires européens) signent un «accord d'exploitation» (dénommé «accord quadripartite») dont le but est de régir leurs relations. DASA se joindra ultérieurement à cette convention.

Toutefois, cet accord exclusivement consensuel ne peut traverser le temps que s'il est complété par un volet financier. C'est d'ailleurs ce qu'écrit Jacques Imbert dans cette même lettre : «Il faut désormais que des intérêts financiers conjoints renforcent la cohésion commerciale et technique qui s'élabore depuis une année.» Maintes fois évoqué, et hormis la participation prise par eux dans le capital de Space Systems/Loral, ce volet restera une ardente intention entre des Européens encore trop nationalistes, que les lois du marché n'ont pas encore forcés à s'allier plus structurellement.

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