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Association Amicale des Anciens d'Alcatel Space
CHRONIQUES D'UN MÉTIER de 1963 à 1993
Table | Préf | Intro | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9

6 - Les programmes de satellites

6.4 - Les programmes militaires

SYRACUSE I


À l'automne 1978, un rapport rédigé par DSE (Division Systèmes Électroniques de Thomson-CSF) est remis aux militaires : c'est le point de départ des transmissions militaires par satellite pour notre nation. Saluons ici au passage l'opiniâtreté de l'amiral Bovis, chef du Bureau TEI (Bureau Technique de l'Électronique et de l'Informatique) à l'État-Major des armées, initiateur clairvoyant et futuriste, ainsi que notre ami Louis Colliaux, ancien ingénieur de Thomson-CSF/DSP, qui avait, contraint, quitté toute activité pendant une longue période suite à une douloureuse maladie, et que nous avions la grande joie de retrouver comme animateur de cette expérimentation au CELAR (Centre ÉLectronique de l'ARmement). Il participera ensuite, pendant quelques années, jusqu'à son décès en 1988, à l'élaboration et au développement des matériels actuellement en service.

La Direction Générale des Télécommunications (Jean Grenier de la Direction des Affaires Industrielles et Internationales) est en relation avec l'État-Major des armées (amiral Bovis) pour intégrer éventuellement une charge utile militaire (7/8 GHz) sur le satellite Telecom 1. Cependant, on rencontre à la fois des problèmes de budget pour les militaires qui, jusque-là, ne considéraient pas les satellites de télécommunications comme indispensables, et des risques techniques, puisque le satellite Telecom 1, premier satellite de télécommunications français, aurait une grande complexité avec trois bandes de fréquences.

Avec l'aide de Jacques Chaumeron, Directeur de DSP (Département Espace-Satellites de Thomson-CSF), qui peut garantir la faisabilité technique de la charge utile, Gérard Coffinet, ex-ingénieur en chef de l'armement, spécialiste des transmissions de la marine, Directeur Commercial de DFH (Division Faisceaux Hertziens de Thomson-CSF), convainc les différents services de la Direction Générale de l'Armement (à savoir : le Service Central des Télécommunications et de l'Informatique : l'IGA Alberge et l'IGA Dages, et les Services Techniques des Constructions et Armes Navales : l'IC Gueldry) de l'intérêt de mettre en place le système SYRACUSE I (SYstème de RAdioCommunication Utilisant un SatellitE) sous le pilotage de l'État-Major des armées.

Il convainc également la Direction Générale de Thomson-CSF (en particulier Jean-Pierre Bouyssonnie et Raymond Paul) de la nécessité de créer au sein de DFH une section commerciale militaire afin de coordonner de l'intérieur comme de l'extérieur l'activité spatiale militaire qui prend vraiment son essor. Jean Rémondin, ex-technicien du Radar, alors ingénieur commercial à DRS (Division Radars de Surface), est muté début 1979 de Bagneux à DFH Levallois pour assurer la responsabilité commerciale de ces activités auprès de Gérard Coffinet.

Dans les laboratoires de Levallois, Pierre Luginbuhl et André Le Roux, avec leurs ingénieurs, «fignolent» les spécifications techniques de préétude d'un système dont les premières expressions de besoin ont été dictées par l'ICA Dages.

En février de la même année, le Gouvernement prescrit au secrétariat d'État aux Postes et Télécom­munications et au ministère de l'Industrie le lancement d'un satellite opérationnel de télécommunications baptisé Telecom 1, et sa mise en service en 1983. Une partie de ce satellite doit être réservée à la satisfaction des besoins du ministère de la Défense : «doter les forces implantées outre-mer, les forces navales, et éventuellement en secours les forces agissant en Europe, de moyens de transmissions fiables et protégés avec les autorités métropolitaines». Le programme spécifiquement militaire SYRACUSE est né.
 

Les caractéristiques générales de SYRACUSE I


Le programme SYRACUSE I permettra la réalisation de liaisons protégées en télégraphie, transmissions de données et téléphonie numérique, entre divers types de stations. Il est constitué des éléments à incorporer au segment spatial de Telecom 1, de stations fixes métropolitaines, de stations mobiles transportables et légères, ainsi que de stations navales qui seront embarquées sur les navires de la Marine nationale.

L'objectif fixé aux P&T est de mettre à poste deux satellites géostationnaires à 5° et 8° ouest (dont un en réserve), qui pourront couvrir le territoire de la France métropolitaine et une partie de l'Europe, ainsi que les départements et territoires français d'outre-mer, de la mer des Antilles à l'océan Indien.

Le système Telecom 1 utilisera les bandes 14/12 GHz pour les services intraentreprises et vidéotransmission, 8/7 GHz à usage spécifiquement militaire (SYRACUSE) et 6/4 GHz pour les liaisons téléphoniques et de télévision avec les Dom-Tom.

La capacité offerte en téléphonie est de 125 Mbit/s pour les liaisons intraentreprises, et supérieure à deux mille voies téléphoniques pour les liaisons avec les Dom-Tom.

Le satellite est constitué d'une plate-forme emportant une charge utile de douze répéteurs. 

MATRA est le maître d'oeuvre du satellite et le réalisateur de la plate-forme. Le Département Espace-Satellites (DSP) de Thomson-CSF est responsable et réalisateur de la charge utile.
 
 
 

L'organisation étatique


Un groupe de projet est mis en place à la DGT avec à sa tête l'ingénieur en chef des télécommunications Ramat, bien connu et apprécié de nos techniciens. Il aura la responsabilité de la réalisation et de la commercialisation du système. Un comité de programme paritaire DGT/CNES est chargé de la conception et de la réalisation du segment spatial : satellite, lancements et stations terriennes de contrôle.

Le premier lancement est prévu en juillet 1983, le deuxième trois mois plus tard, et la mise en service après la recette du deuxième satellite lancé. 
 

Le programme SYRACUSE I


Le programme militaire SYRACUSE I comprend donc la définition fine des spécifications techniques d'ensemble du système et de la charge utile correspondante, le développement et la réalisation d'une vingtaine de stations terriennes.

Le coût est de l'ordre de 400 millions de francs en études, et 600 millions de francs en fabrications (francs hors taxes au 01-01-1992), la partie spatiale militaire représentant environ 100 millions de francs.
 
 

La charge utile militaire

La charge utile militaire comprend deux répéteurs (7/8 GHz) associés à une paire de cornets de couverture mondiale et à une balise non modulée, permettant le pointage des antennes au sol. Pour des raisons de délai, elle est entièrement sous-traitée par DSP à Ford Aerospace. Malgré la compétence reconnue de cette société, on rencontrera des difficultés (en particulier pour les alimentations des TOP) et des retards qui, heureusement, pourront être circonscrits dans le calendrier final de Telecom 1.
 
 

Le segment solOn distingue essentiellement quatre types de stations qui se particularisent par la taille des antennes, l'utilisation qui en est faite, et le nombre d'éléments constitutifs.

• Les trois stations terriennes métropolitaines fixes

Ces stations ont une antenne autopointée de 8 mètres de diamètre. Elles assurent l'ensemble du trafic du réseau avec les autres stations et entre elles.

• Les stations navales
 

Syracuse I, antenne de 1,5 mde diamètre

Ces stations sont embarquées sur les bâtiments de la Marine nationale (une vingtaine de navires de taille égale ou supérieure aux corvettes, soit environ 3 000 tonnes). Chaque station est composée de deux antennes stabilisées 3 axes, de diamètre 1,5 mètre sous radôme (l'une ou l'autre, bâbord ou tribord, étant commutée en fonction des masques présentés par les superstructures du navire), d'un shelter transbordable installé sur le pont, et d'équipements déportés dans les locaux techniques du bâtiment.

• Les stations terrestres mobiles
 

Station transportable de Syracuse I

Ces stations sont transportables par avion Transall. Chacune est composée d'une antenne de 3 mètres de diamètre et d'un shelter qui peut être installé sur camion.

• Les stations mobiles légères

Ces stations diffèrent des précédentes par un allègement de certains sous-ensembles : entre autres, antenne de taille réduite à 1,3 mètre, et émetteur de moindre puissance.
 
 

L'organisation du programme

Cette affaire complexe et tendue du point de vue des délais nécessite la mise en place à la DGA d'une Direction de Programme placée au SCTI sous la responsabilité de l'ingénieur en chef Dages, et supervisée par un comité de direction présidé par l'ingénieur général Alberge, alors chef du SCTI.

Le comité directeur est assisté, pour la préparation de ses décisions par :

- un groupe opérationnel relevant de l'État-Major des armées (EMA-TEI), dont dépend l'officier de programme ;

- un groupe technique placé sous l'autorité du Directeur de Programme.
 
 

Les relations avec l'organisme responsable de Telecom 1 et les relations internationales (États-Unis, Royaume-Uni et OTAN) sont également assurées par le Directeur de Pro­gramme, l'ingénieur en chef Dages, à qui nous rendons ici hommage pour la perspicacité et l'opiniâtreté qu'il a manifestées, tant dans le domaine technique qu'en matière économique, tout au long des phases d'étude et de développement du segment militaire du système, en jouant à la fois le rôle de chef d'orchestre et d'aiguillon. Sans lui, SYRACUSE ne serait pas la réelle réussite reconnue de tous aujourd'hui.
 
 

Les contrats

Du côté des réalisations, la totalité des contrats est notifiée à la Division Espace de Thomson-CSF.

La charge utile militaire fait partie du contrat principal du satellite passé par la DGT à MATRA qui sous-traite l'ensemble de la charge utile à Thomson-CSF (contrat passé en 1980).

Pour les stations sol, il faut monter des contrats assez complexes car, les délais étant très courts (quatre ans pour arriver à la série), il n'est pas possible de franchir toutes les étapes d'un programme militaire classique. Les études de base sont faites simultanément avec la réalisation des prototypes, et les commandes de série (ou tout au moins les approvisionnements) doivent être passées bien avant la fin de réalisation des prototypes.

Ces contrats sont bâtis entre la Direction Commerciale de DFH et l'IG Alberge qui est devenu Directeur de la Direction de l'Électronique et de l'Informatique, et qui confie le suivi au Service Technique de l'Électronique et de l'Informatique (STEI) dirigé par l'IGA Javelot (à l'époque ICA, décédé en 1998).

Les difficultés techniques (en particulier sur les synthétiseurs) entraînent des retards, aggravés par la séparation de DFH en deux divisions. La Division Espace est responsable de SYRACUSE I, Jean-Louis de Montlivault étant Directeur de Programme, et la Division Faisceaux Hertziens étudie et réalise les stations sol. Vers le milieu de 1982, il apparaît que le programme est en danger. 

C'est pourquoi Gérard Coffinet, après avoir confié une mission d'audit à Alain Poquet, propose qu'une véritable équipe de maîtrise d'oeuvre soit montée dans la Division Espace sous la direction d'Alain Poquet. Cette proposition est acceptée par Jacques Imbert, Jean Guibourg (DFH) et André Rapenne (DTC), à condition que l'équipe soit financée par la DGA. Ce qui est obtenu grâce à l'IG Alberge et à l'ICA Dages. Cette mesure essentielle sauvera le calendrier du programme et permettra de rester dans les coûts prévus.
 
 

La maîtrise d'oeuvre

Les prototypes étant satisfaisants, la puissance industrielle de Thomson-CSF se met alors à l'oeuvre. La planification, l'organisation et la distribution du travail déclenchent sans inertie les bureaux et laboratoires d'étude pendant que les ateliers se préparent à traiter les liasses de «bons à fabriquer» qui déferleront quelques semaines plus tard, et cela sans relâche, jusque vers la fin des années quatre-vingt, en alimentant DFH, devenue ensuite Alcatel Thomson Faisceaux Hertziens puis Telspace, pour une grande partie des sous-ensembles, DRS Bagneux pour l'intégralité des antennes navales (source hyper, mécanique, asservissements, parabole, radôme), DTC Gennevilliers pour les châssis de codage d'accès SSMA (Spread Spectrum Multiple Access) et la téléphonie cryptée, mais aussi d'importants sous-traitants extérieurs à la Compagnie, par exemple pour les antennes terriennes de 8 et 3 mètres et les trois types de shelters nus.

Tout au long du déroulement du planning PERT, étroitement surveillé par les services techniques de la Défense, les équipements sortent en série des plates-formes d'essai et sont regroupés sur le site de Cergy-Pontoise (surfaces louées à Telspace) pour y être intégrés et présentés en recette usine au SIAR (Surveillance Industrielle de l'Armement), station par station. Cela nécessite la réalisation de «plots» (plates-formes d'essai spécifiques à chaque type de station), ce qui est un champ d'expérience essentiel pour SYRACUSE II.

Grâce à cette organisation industrielle «tentaculaire», et au prix des efforts de tous les participants, le programme SYRACUSE I tient les délais imposés. Le lancement de la fusée Ariane 3, le 4 août 1984, réussit la mise en orbite du satellite Telecom 1A. Ce satellite, comme le deuxième (Telecom 1B), lui aussi lancé avec succès, le 7 mai 1985, permet de faire enfin des essais en vraie grandeur du système. Un troisième satellite (Telecom 1C), initialement prévu au sol, sera lancé plus tard, ce qui permettra de maintenir le service offert jusqu'à l'arrivée des satellites Telecom 2.

Pour les stations à bord des navires, le prototype est installé sur la corvette ASM type C70, le Jean de Vienne, ce qui permet de valider les antennes et l'ensemble en fonctionnement. Cela constitue une première en France. Suivront quelques grandes réussites qui auront un fort retentissement :

- utilisation au Tchad en 1985 lors de troubles ;

- utilisation sur le croiseur De Grasse, pour faciliter l'évacuation des Français lors de troubles à Aden en 1986 ;

- essais lors de l'exposition du Bourget en 1985 entre le chef d'État-Major des armées, parlant depuis Paris, et le ministre de la Défense Charles Hernu, parlant depuis le Midi de la France, puis le lendemain un essai du même genre avec Berlin où est implantée la station SYRACUSE du gouvernement français de Berlin ;

- inauguration officielle de la station métropolitaine à Lanvéoc-Poulmic le 19 mars 1986, sous la présidence de l'amiral Louzeau.
 
 

L'État-Major, qui peut ainsi décider la mise en service opérationnelle en 1986, est enthousiasmé par les avantages opérationnels qu'apportent les télécommunications par satellite, et c'est ce qui motive la décision de lancer SYRACUSE II.

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