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Association Amicale des Anciens d'Alcatel Space
CHRONIQUES D'UN MÉTIER de 1963 à 1993
Table | Préf | Intro | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9

6 - Les programmes de satellites

6.2 - Les satellites de télécommunication

Aerosat

La naissance du programme


Dès le milieu des années soixante, l'utilisation de satellites pour l'aide à la navigation aérienne est mise à l'ordre du jour.

Sur les routes transatlantiques, les liaisons entre les avions longs courriers et les contrôleurs au sol sont effectuées en HF avec tous les aléas que peut rencontrer la propagation dans cette bande de fréquences. De plus, l'imprécision de la localisation effectuée par les avions eux-mêmes oblige à faire respecter entre ces derniers des distances d'espacement importantes.

Réduire ces distances grâce à de meilleures communications et à une localisation plus précise doit permettre à un plus grand nombre d'avions de se rapprocher de la route optimale et de réaliser des économies de carburant non négligeables, avec pour résultat immédiat une augmentation de la charge marchande.

Un système de localisation par satellite, en donnant aux contrôleurs une connaissance directe de la position précise de chaque avion, et en permettant de communiquer en permanence, doit contribuer à atteindre cet objectif.

Une étude publiée en 1967 par le CNES et le secrétariat général à l'Aviation civile jette les bases du système «Dioscures», dont la mise en oeuvre est prévue pour gérer, à l'horizon 1980, un total de deux cents avions en vol simultanément sur l'Atlantique nord, dont quatre-vingts supersoniques ! En 1970-71 une expérimentation, où la Division Télécommunications de Gennevilliers fournit les matériels au sol, utilise des ballons stratosphériques pour simuler le satellite.

L'Organisation internationale de l'aviation civile (OACI), qui a exprimé son intérêt dès 1966 pour l'étude d'un tel système, recommande officiellement en 1972 la mise en oeuvre d'un programme d'évaluation et d'expérimentation.

Il reste donc aux différentes agences à s'organiser pour que le programme devienne une réalité.

Du côté européen, le CNES, qui a déjà défini le système «Dioscures», propose à l'ESRO de le réaliser à l'échelle européenne, l'objectif étant le contrôle de la circulation sur l'Atlantique nord.

L'ESRO adopte le projet, le baptise Aerosat et recherche une participation de l'autre côté de l'Atlantique, c'est-à-dire aux États-Unis, puis au Canada.

Les négociations avec les États-Unis sont entamées  en 1969. Le premier interlocuteur est la NASA, avec laquelle l'ESA signe un mémorandum d'accord pour  le pilotage conjoint d'un programme expérimental.  Malheu­reu­sement, peu après la signature, le gouvernement des États-Unis fait savoir que la NASA n'est pas habilitée à prendre un engagement dans le domaine de l'aéronautique et que la seule administration américaine ayant un tel pouvoir est la FAA (Federal Aviation Administration). 

En janvier 1971, une déclaration d'intention de l'»Office of Telecommunications Policy» (OTP) de la Maison-Blanche aboutit à de nouvelles études techniques menées en commun par l'ESRO et la FAA. Un programme est élaboré en 1971 avec la participation du Canada. Le Japon et l'Australie manifestent également leur intérêt vis-à-vis du programme.

Après un premier mémorandum d'accord proposé en décembre 1971, les négociations entre l'ESRO, les États-Unis et le Canada sont reprises sur les bases suivantes: le programme de satellites sera financé à égalité par les gouvernements européens d'une part (47 %) et la Comsat américaine d'autre part (47 %), et par le Canada (6 %).

Un nouvel accord aboutit, le 2 août 1974, à la signature d'un mémorandum au titre duquel les trois parties s'engagent à mettre en place deux satellites préopérationnels destinés à faire une expérimentation et à évaluer les capacités d'un tel système. Les résultats doivent permettre à l'OACI de définir les spécifications du système opérationnel futur qui sera mis en place au cours de la décennie suivante.

Les éléments du segment terrien doivent rester la propriété de chacun des pays participants, leur développement étant cependant coordonné par l'organisation commune.

Il convient de mentionner deux hommes qui, par leur volonté opiniâtre, auront grandement contribué à l'aboutissement des négociations: David Israël, de la FAA, et Jacques Villiers, du secrétariat général à l'Aviation civile (France).
 

L'activité de Thomson dans le programme


Dès qu'il apparaît probable qu'un programme de satellite puisse être entrepris par les autorités françaises ou européennes, on commence à se préoccuper, à Thomson-CSF, de la formation industrielle qui pourrait attaquer le problème. Deux unités sont candidates pour le pilotage de  l'affaire, le Département ESA parce qu'il s'agit de satellites, et la filiale TVT parce qu'il s'agit de contrôle du trafic aérien.

Après quelques réunions «animées», la balance semble pencher au début en faveur de TVT. Ensuite, il faut bien constater que, pour un tel programme de satellite de l'ESRO, Thomson, représentée par le Département ESA, est membre du consortium STAR, spécialement formé pour répondre aux appels d'offres de satellites lancés par l'ESRO. C'est finalement ce point de vue qui l'emporte et il est décidé que le Département ESA, assisté par TVT, pilotera la participation de Thomson au programme, dans le cadre du consortium STAR.

Il faut ensuite décider qui, au sein du consortium, prendra la maîtrise d'oeuvre du programme. Pour la première étude préliminaire de phase A lancée par l'ESRO, cette administration décide de faire appel aux trois consortiums existants: Cosmos, MESH et STAR, afin d'aboutir à trois projets conçus par des équipes différentes et d'en tirer ensuite le meilleur parti. BAC (British Aircraft) est désigné par le consortium STAR pour être maître d'oeuvre de cette étude, Thomson y participant pour la charge utile. Cette participation est confiée au Service Systèmes dirigé à l'époque par Claude Skenderoff. Jean-Claude Héraud est l'animateur de l'équipe, dont font partie quelques ingénieurs de TVT.

Dès que commencent à se préciser les nouvelles règles de retour industriel, où les participations européenne, canadienne et américaine doivent respecter au plus près les pourcentages de financement apportés par les différents pays, il faut rechercher des partenaires américains et canadiens. Thomson est chargée de ce rôle par le consortium STAR.

Au début des années soixante-dix, Thomson-CSF entretient des relations très suivies avec Hughes Aircraft dans le programme Intelsat IV. La question d'une éventuelle association pour le programme Aerosat est posée tout naturellement à cette société. Il apparaît rapidement que les dirigeants de Hughes n'ont aucune confiance dans les possibilités d'aboutissement du programme et ne sont pas disposés à engager des dépenses pour une proposition.

Côté européen, au contraire, la confiance règne. Une réunion de présentation du programme, organisée à Washington par la FAA et l'ESRO le 29 septembre 1971, a contribué à la renforcer.

Il est donc décidé, à Thomson, et avec l'accord des membres de STAR, de rechercher un autre partenaire.

Cette recherche se déroule en 1971 et 1972. Après des contacts avec Lockheed, Fairchild et RCA, cette dernière société semble être la meilleure candidate. Elle achève, en effet, l'étude d'un satellite de télécommunications auquel on peut facilement adapter la charge utile requise pour le satellite Aerosat. De plus, RCA possède une filiale au Canada, RCA Limitée, qui deviendra par la suite Spar Aerospace, et qui est apte à fournir la contribution canadienne.

En novembre 1974, Thomson-CSF signe avec RCA un accord pour la constitution d'un groupement industriel où RCA, maître d'oeuvre, assumera la direction du projet et fournira le véhicule spatial, engin dérivé du satellite de télécommunications Satcom, construit par RCA pour un réseau national américain. Le consortium STAR, sous la responsabilité de Thomson-CSF, réalisera la charge utile du satellite et en particulier les répéteurs de télécommunications, RCA Limitée étant chargée des antennes.
 

La proposition


Après une longue attente, consacrée aux négociations entre administrations et à l'estimation de ce que pourrait être le programme, le travail de «mock proposal» commence, sous la maîtrise d'oeuvre de RCA, Thomson ayant la responsabilité de la charge utile et de la supervision générale de la participation européenne. Ce travail consiste, selon les méthodes adoptées par la plupart des maîtres d'oeuvre américains, à rédiger pratiquement une proposition complète avant la sortie de l'appel d'offres, à partir d'estimations de ce que pourraient être les spécifications. Cette méthode permet, en principe, d'éviter toute précipitation après la sortie de l'appel d'offres et de n'avoir à effectuer, après cette sortie, que des modifications supposées être mineures à une proposition déjà presque complètement rédigée.

Une équipe de projet est constituée au Département ESA, dont le chef de projet est Maurice Dumas. Il s'ensuit, pour cette équipe, un long travail de préparation qui comprend des contacts avec les clients pour avoir une idée des spécifications futures, des discussions avec les partenaires pour définir la part de chacun puis les différentes interfaces, des séjours plus ou moins longs chez RCA à Highstown (New Jersey) pour coordonner la définition des différents éléments du satellite, les plannings de réalisation, etc.
 

Mock proposal avec RCA Astro
Une réunion du groupe de management. Assis de gauche à droite: Bob Hume de RCA, Pierre Gautier, Jacques Chaumeron et Maurice Dumas de Thomson-CSF, MM. Ditmar et Rausch de Dornier Systems

Le travail de «mock proposal» occupe le second semestre de 1975. Le chef de projet de RCA, Bob Hume, un ancien militaire, y mène tout le monde à la baguette.

Le Département ESA a eu le temps, pendant cette longue période d'attente, d'effectuer les études nécessaires à l'éclaircissement de certains «points durs» dans la définition de la charge utile.

L'ESRO a passé quelques marchés d'études dans ce but et, en particulier, le Service Hyperfréquences au sein d'ESA, devenu DSP à partir de 1975, dirigé par Marcel Palazo, a réalisé une maquette d'un émetteur à l'état solide d'une puissance d'environ 50 watts en bande L. La maquette de cet émetteur, avec ses circuits de mise en parallèle des transistors de puissance, qui ont donné des sueurs froides à quelques ingénieurs et techniciens, figurera longtemps dans le musée du Service Hyperfréquences.

L'appel d'offres finit par sortir le 15 février 1976. Il reste quatre mois pour remettre la proposition finale. Étant donné le travail déjà fait sur la «mock proposal», ce délai peut paraître long mais, pour le tenir, il faut en fait maintenir le rythme infernal des mois précédents. Le week-end de Pâques 1976 se passe à Highstown dans des discussions «au finish» sur les prix.
 

Le dénouement


La proposition est remise à la date prévue; les membres du groupe de projet de DSP, qui ont réalisé une «première» dans une proposition de charge utile complexe, peuvent enfin se détendre tout en restant anxieux du choix que vont faire les clients.

Ce choix met longtemps à se dessiner et ce n'est qu'à l'automne de 1976 que le couperet tombe. Les trois offres sont équivalentes sur le plan technique, mais, grâce à une imagination plus grande du maître d'oeuvre General Electric dans le maniement des «overhead» (traduction: coûts hors production), l'association General Electric-Cosmos a soumis un bien meilleur prix que ses concurrents.

Nous perdons, et c'est le début d'une baisse de charge qui conduira finalement DSP à mettre en oeuvre, en 1977, ce que l'on n'appelle pas encore, à l'époque, un plan social, mais qui oblige néanmoins à reclasser, en grande partie dans le groupe Thomson, environ quatre-vingts personnes sur un total de trois cents, tout en essayant de maintenir le minimum de compétences qui permettront de redémarrer à partir de 1980.

Ayant perdu Aerosat, DSP et le consortium STAR ne sont pas les dernières dupes du projet. En effet, dès 1975, de nombreuses compagnies aériennes commencent à éprouver des difficultés financières et un certain nombre de facteurs les incitent à devenir très réticentes vis-à-vis du programme.

L'apparition des avions gros porteurs les oblige à supporter des investissements importants. L'augmentation de la capacité des avions tend à ralentir la croissance du nombre de vols sur l'Atlantique. À l'exception de quelques Concorde, il n'y aura pas de supersoniques. L'amélioration de la précision des moyens de navigation due à l'usage des centrales à inertie diminue, à leurs yeux et au moins provisoirement, l'intérêt d'une localisation par satellites. Elles ne sont prêtes ni à supporter les frais d'achat de nouveaux matériels à bord des avions, ni à payer les redevances qui leur seraient réclamées pour financer le fonctionnement d'un nouveau service.

C'est ainsi qu'après avoir passé plusieurs mois à négocier le contrat des satellites avec les organisations clientes, le consortium General Electric-Cosmos apprend que le programme est annulé.

Nos amis de Hughes Aircraft ont eu finalement raison de ne pas engager de dépenses dans cette entreprise.

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