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Association Amicale des Anciens d'Alcatel Space
CHRONIQUES D'UN MÉTIER de 1963 à 1993
Table | Préf | Intro | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9

3 - Les unités spécialisées dans l'Espace

3.4 - Alcatel Thomson Espace et Alcatel Espace (ATES)

F - Les comptes d'Alcatel Espace


L'activité d'Alcatel Espace est tout entière composée d'»affaires à long délai d'exécution». Les cycles commerciaux, industriels et financiers s'étalent sur plusieurs années ; les résultats en font donc autant. C'est ainsi que, pour une affaire donnée, la commande, le chiffre d'affaires, la marge, les bonnes et mauvaises surprises vont se délayer dans le temps. Toutes affaires confondues, le mix qui apparaît dans les comptes sociaux va évoluer progressivement, au fil des ans, et non par «à-coups» comme cela se rencontre dans les industries fabriquant des produits à court délai de réalisation et de vente.
 

Les cycles


Au cours des vingt premières années de leur vie, les unités qui précédèrent Alcatel Espace opéraient selon des cycles classiques d'équipementiers «high-tech», à savoir un cycle commercial de quelques mois, un cycle industriel de un à deux ans (études comprises) et un cycle financier réduit au minimum du fait de règles de paiement d'acomptes qui accompagnaient l'avancement du programme. Au total, le cycle ne dépassait jamais deux ans et demi, avec une moyenne de l'ordre de dix-huit mois. Dans un tel contexte, le poids du financement de projet était faible, voire inexistant.

À la création d'Alcatel Espace, début 1984, le contexte a déjà sensiblement changé à cause de la modification de l'activité : d'équipementier, Alcatel Espace commence à être maître d'oeuvre de charges utiles. Elle devient «partenaire» du consortium de réalisation du programme spatial. Les cycles techniques et industriels s'allongent : de l'ordre de cinq années pour les premiers modèles de vol des premiers programmes commerciaux européens (Telecom 1, TDF-TV-Sat 1, TELE X 1, SPOT 1). Les négociations commerciales deviennent plus complexes, les cycles financiers s'accroissent de par la solidarité financière que les clients imposent aux fournisseurs-partenaires. En particulier, les clients vont «importer» des États-Unis des incitations à bien travailler («incentives»), décrites au chapitre sur le Risk Management, qui vont étaler sur une fraction de la durée de vie du programme spatial le paiement de près de 20 % du prix de vente. Au total, il va s'écouler près de dix années entre le jour où Alcatel engage la première dépense de proposition commerciale et celui où elle encaisse la dernière mensualité de «primes de vol».

Les années passent et le client final change. Les risques techniques s'atténuent et, de ce fait, les programmes commerciaux n'ont plus besoin d'être pris en charge par le client public ; peu à peu le relais est pris par des consortiums privés qui demandent au fournisseur d'être livrés «clés en main», voire «marchés en main». Ce dernier, pour remporter l'affaire, doit assurer le montage de toute l'opération tant aux plans technique qu'industriel et financier. Dans certains cas, il doit même entièrement financer l'opération et prendre alors le rôle d'opérateur. Après trente ans d'expérience dans le métier, Alcatel Espace se doit d'affronter un tout nouveau contexte dans lequel les délais commerciaux se sont allongés (trois à quatre années de négociations commerciales sont parfois nécessaires, ponctuées de nombreux rebonds), les délais techniques et industriels se sont réduits de plus de moitié (on livre un satellite en deux ans) au prix d'une gestion de production totalement remaniée. Quant aux cycles financiers, ils s'étalent sur toute la durée de réalisation et de vie du programme et peuvent même la dépasser dès lors que certains investissements initiaux demandent plus d'une série de satellites pour être amortis. Ce ne sont plus dix ans qui séparent le jour de la première dépense et celui de la dernière recette, mais vingt ans. Et vingt ans pendant lesquels il faut faire face à toutes sortes de risques : politiques, de change, techniques, commerciaux, dont les origines ne sont plus que marginalement imputables à Alcatel Espace.
 

Des budgets et des comptes


Dès la création d'Alcatel Espace, il apparaît vite que le contrôle de la gestion de l'unité est à l'étroit dans le costume trois-pièces qu'elle a hérité de Thomson-CSF : un budget annuel, une situation des résultats et des comptes annuelle et un suivi de production au jour lejour.

La notion de résultats annuels cadre mal avec des activités pluri-annuelles : le résultat d'une affaire n'est connu que lorsque celle-ci est terminée, c'est-à-dire, au mieux, cinq ans plus tard. Entre-temps, le calcul des résultats annuels ne peut être qu'arbitraire, les mauvaises surprises n'apparaissant souvent qu'en fin de course.

Il en va de même des budgets : les moyens qu'il faut mettre en place doivent être compatibles avec l'achèvement des programmes ; ainsi le budget annuel n'est en fait - au mieux - qu'un outil permettant à Alcatel Espace de faire un point dans l'avancement des programmes et de s'intégrer à la consolidation du groupe. La véritable approche budgétaire est alors reportée au sein de l'unité dans la recherche d'une démarche cohérente à cinq ans : le PMT (Plan à Moyen Terme).

Enfin, la gestion des programmes va devoir être contrôlée au sein d'un énorme planning PERT géré sur ordinateur : le système Artemis. Celui-ci aura pour tâche de suivre l'avancement des programmes de leur début à leur fin et de permettre ainsi des consolidations au niveau de la société donnant une vision permanente des charges nécessaires par métier, des points critiques, et de simuler des besoins nécessaires dans les cas où telle affaire supplémentaire serait gagnée… ou perdue.

L'ensemble de ces systèmes de gestion de projet, gestion financière des programmes, plans d'investissements, de financement et de résultats étant intimement coordonnés entre eux… au prix de débats «musclés» autour de conclusions différentes des uns ou des autres sur l'opportunité ou non de mettre en place tels moyens à tel moment.
 

Les résultats d'Alcatel Espace


Les résultats des vingt premières années de l'activité Espace exercée alors au sein de CSF, Thomson, la CGE et Thomson-CSF sont compris dans ceux d'unités plus importantes au sein desquelles les activités spatiales sont exercées. Bien que ces résultats ne puissent pas toujours être déterminés avec une très grande précision, ils suffisent pour mettre en évidence des difficultés qui vaudront certaines des réorganisations citées précédemment.

Ce n'est qu'à partir du 1er janvier 1984, date de la création de la société Alcatel Thomson Espace, que l'on dispose des informations comptables suffisantes et contrôlées, et que celles-ci, d'ailleurs, sont régulièrement publiées - conformément à la loi - au greffe du tribunal de commerce des Hauts-de-Seine.
 

Quelques chiffres significatifs


De même que «trop d'impôts tuent l'impôt», trop de chiffres tuent le chiffre. Ainsi, dans le but d'être concis, ne seront rappelés ici que quelques chiffres essentiels, d'autant plus significatifs qu'ils seront comparés sur une dizaine d'années. Et notamment, un premier tableau fera ressortir :

- le chiffre d'affaires total ;

- la valeur ajoutée totale (c'est-à-dire, en fait, la véritable mesure de l'activité sociale puisqu'on retire ici des ventes l'ensemble des achats : ce qui reste est donc bien ce que l'on a fait soi-même) ;

- cette valeur ajoutée pourra être utilement déterminée par salarié, tout accroissement de son montant au-delà du taux d'inflation permet de faire ressortir l'évolution de la productivité ;

- le résultat courant, avant tout élément de nature exceptionnelle, impôt sur les sociétés et intéressement du personnel ;

- le résultat social net (après impôt sur les sociétés, éléments de nature exceptionnelle, intéressement/participation du personnel) ;

- pour mémoire, sera rappelé le montant d'intéressement et de participation payé au personnel.
 
 

Le deuxième tableau résume le bilan de la société et le troisième met en évidence les grands équilibres financiers.

La situation des résultats (en MF)


Année 
Chiffre d'affaires total 
Valeur ajoutée totale 
Nombre de salariés 
Valeur ajoutée par salarié 
Résultat courant 
Résultat social net 
Participation + intéressement du personnel 
1984 
  550 
192 
1 005 
0,191 
- 57,5 
- 51,3 
  0,0 
1985 
  694 
193 
  928 
0,208 
- 33,3 
- 146,1 
  0,0 
1986 
  813 
271 
  843 
0,321 
  11,7 
     3,9 
  2,9 
1987 
  751 
352 
  883 
0,399 
  27,5 
    16,2 
  5,1 
1988 
1 006 
446 
1 018 
0,438 
  49,9 
    34,1 
  9,7 
1989 
1 549 
547 
1 199 
0,456 
  55,4 
   69,2
12,1 
1990 
1 777 
561 
1 269 
0,442 
  77,4 
   53,9 
11,1 
1991 
1 639 
578 
1 262 
0,458 
  90,3 
   59,4 
19,2 
1992 
1 774 
674 
1 269 
0,531 
174,9 
   64,3 
18,5 
1993 
1 885 
706 
1 268 
0,557 
121,6 
   68,8 
22,5 

Le bilan


Actif
Passif
Année
Immobilisations nettes
Stocks et en-cours
Réalisable / disponible
Capitaux propres
Provisions
Dettes financières
Dettes commerciales
Apports 
64 
117 
285 
31 
59 
368 
1984 
73 
101 
448 
30 
53 
97 
442 
1985 
75 
82 
633 
122 
69 
595 
1986 
73 
71 
622 
57 
122 
82 
505 
1987 
84 
158 
655 
124 
222 
51 
500 
1988 
120 
360 
939 
158 
283 
44 
934 
1989 
169 
470 
1 483 
195 
287 
122 
1 518 
1990 
163 
347 
1 732 
248 
273 
209 
1 512 
1991 
472 
235 
1 316 
308 
299 
135 
1 281 
1992 
455 
269 
1 483 
372 
431 
73 
1 331 
1993 
441 
306 
1 433 
377 
405 
58 
1 340 

Les grands équilibres financiers


Année 
Total du bilan 
Fonds de roulement 
Besoins de fonds de roulement 
Trésorerie nette 
Apports 
466 
- 18 
18 
1984 
622 
71 
- 77 
1985 
790 
- 31 
- 34 
65 
1986 
816 
- 95 
- 7 
102 
1987 
897 
- 158 
- 67 
225 
1988 
1 419 
- 180 
- 433 
613 
1989 
2 122 
- 276 
- 694 
970 
1990 
2 242 
- 296 
- 889 
1 185 
1991 
2 023 
- 59 
- 739 
798 
1992 
2 207 
- 239 
- 489 
728 
1993 
2 180 
- 199 
- 619 
818 

N.B. : Le signe «-» signifie «au passif».
 

Commentaires


«Les actionnaires croient qu'ils veulent des bilans justes ; mais ils désirent des bilans faux. Si les comptes de profits et pertes qu'on leur présente marquaient, dans leur intégralité, les variations annuelles qu'imposent à l'industrie les conditions du marché, les actionnaires ne supporteraient ni la joie de la bonne année, ni l'effroi de la mauvaise.»

Auguste Detoeuf, ancien Président de Thomson
 
 

Cette maxime de «Barenton, confiseur» recouvre le sentiment que le grand public éprouve lorsqu'il est projeté devant un bilan de société. Et pourtant… Et pourtant, on peut certes imaginer qu'il soit possible d'orienter les résultats et les comptes d'une année ; aucun spécialiste n'acceptera d'affirmer le contraire. Mais aucun homme de métier ne sera prêt à affirmer qu'une collection de dix bilans successifs peut dire autre chose que ce qui est, ou bien ce serait remettre en cause le principe de physique des vases communicants.

Quels sont les grands messages qu'apportent ces séries de dix années de chiffres concernant Alcatel Espace ? Trois d'entre eux semblent essentiels.

• Une amélioration permanente de la productivité globale de la société : on observe, en effet, qu'en dix ans la valeur ajoutée par salarié s'est accrue d'environ 12,5 % l'an en francs courants, donc de près de 9 % l'an en francs constants. Ce taux de 9 % représente bien l'amélioration de productivité annuelle moyenne d'ATES, ce qui est remarquable.

• Après des débuts difficiles, marqués par les vicissitudes rencontrées de 1982 à 1985 (transfert à Toulouse, embauches records, annulations de contrats…), les résultats nets après provisions pour risques, impôts et intéressement ou participation du personnel (lesquels représenteront en 1993 près d'un mois de salaire supplémentaire) atteindront très vite environ 4 % du chiffre d'affaires total ou 10 % de la valeur ajoutée. Il faut, par ailleurs, se garder d'une mauvaise interprétation portant sur les produits financiers. Ceux-ci, en effet, sont importants (de l'ordre des deux tiers du résultat courant) mais proviennent pour plus de moitié des provisions pour risques et charges constituées par prélèvement sur le résultat courant. Les produits financiers ont donc un caractère récurrent et normal et ne sont pas un point de fragilité des résultats.

• L'espace est un monde plein de surprises ! Et les surprises apparaissent très tard dans le processus industriel, commercial ou financier et coûtent d'autant plus cher que l'on s'approche de la recette en orbite du satellite. Dans ce contexte difficile, la moindre des précautions consiste à constituer au passif du bilan des «provisions pour risques et pour charges». Cette politique constante se traduit par un volume global de provisions d'un ordre de grandeur analogue à celui des capitaux propres et représente environ 20 % du chiffre d'affaires total d'une année et 50 % des excédents de trésorerie.

La nécessité pour ATES d'entrer progressivement dans les métiers de maître d'oeuvre système ou satellite, voire d'opérateur, ne peut que conduire à la constitution de provisions toujours plus importantes.

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