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Association Amicale des Anciens d'Alcatel Space
CHRONIQUES D'UN MÉTIER de 1963 à 1993
Table | Préf | Intro | 1 | 2 | 3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9

2 - Les premières activités spatiales à Thomson et à CSF

2.1 - Les débuts des activités spatiales à la Compagnie Française Thomson-Houston


Au début des années soixante, la Compagnie Française Thomson-Houston (CFTH) est divisée en quatre groupes correspondant à quatre types d'activité spécifiques :

- le Groupe Électronique ;

- le Groupe Cuivre et Câbles ;

- le Groupe Mécanique électrique ;

- le Groupe Radio-Télévision.
 
 

C'est au sein du Groupe Électronique, consacré essentiellement à l'électronique professionnelle, que quelques personnes pensent que l'expertise de la Compagnie dans cette discipline devrait pouvoir trouver des applications, et donc des débouchés, dans le domaine spatial.

Dans le but de découvrir ces applications et de réfléchir aux moyens de leur mise en oeuvre, un groupe de travail est créé, par une note de la Direction du Groupe Électronique en date du 13 octobre 1960, et dénommé «Espace». Un an plus tard, le 17 novembre 1961, une note également signée de Maurice Jean, Directeur du Groupe Électronique, annonce la création d'un organisme permanent, le Bureau des Activités Spatiales (BAS), dont le rôle doit consister «par une action aussi permanente et dynamique que possible, dans le cadre d'une politique cohérente, à mettre en évidence en temps utile, pour décision de la Direction du Groupe Électronique et de la Direction Générale, les options importantes de cette politique».

Suivent un certain nombre d'instructions plus précises énumérées ci-dessous :

«À cet effet, il devra :

- susciter et orchestrer tous contacts utiles avec les organismes appelés à connaître des questions d'espace, qu'il s'agisse d'administrations (CNES en particulier) ou d'organismes professionnels (Eurospace) ;

- promouvoir par tous moyens appropriés (conférences, publications, congrès, etc.) la présence de CFTH dans toutes les manifestations Espace ;

- proposer aux Divisions intéressées et appuyer toutes actions commerciales ayant pour objet d'assurer la position CFTH en matière spatiale ;

- recommander aux Divisions les orientations techniques nécessaires et suivre leur développement ;

- solliciter de la Direction du Groupe et de la Direction Générale toutes démarches ou interventions utiles ;

- suggérer les perspectives d'alliances opportunes avec les firmes étrangères.»
 
 

Ces objectifs très larges montrent, dès le départ, l'intérêt de la Direction Générale pour des prises de position dans les activités spatiales. Il est néanmoins précisé que le domaine d'activité du BAS est, en principe, limité aux activités spatiales civiles.

La responsabilité du BAS est confiée, dès le début, à Vladimir Altovsky, qui l'assume jusqu'à sa retraite en 1976. Il a pour adjoint, pendant les premiers mois, M. Doppler. Il aura ensuite, entre septembre 1963 et septembre 1965, un autre adjoint, Jacques Chaumeron, qui sera remplacé en 1965 par Jacques Pèlegrin.

En 1969, période de la fusion Thomson-CSF, le BAS est maintenu dans la nouvelle organisation et rattaché à la Direction des Affaires Civiles, sous l'autorité de Marc de Saint-Denis. Ses responsabilités sont alors étendues au domaine de l'aéronautique et il prend le nom de Bureau des Activités Aéronautiques et Spatiales.

À partir de 1976, le responsable du BAS est Michel Faingold, qui occupera ce poste jusqu'en mars 1978. Entre-temps, le BAS aura vu s'élargir ses responsabilités en devenant le Bureau Télécommunications et Radiocommunications Civiles du GTD (Groupe Trans­mis­sion et Diffusion), toujours dirigé par Marc de Saint-Denis. En mai 1978, les responsabilités de ce Bureau sont transférées à la Division DFH et confiées à Michel Lasalle.
 

Deuxième en partant de la gauche, Vladimir Altovsky, 
premier Directeur du Bureau des Activités Spatiales de Thomson (1962-1976). Il est entouré de gauche à droite de Jacques Chaumeron, Philip Van der Veen, de Hughes Aircraft, Jean-Pierre Bouyssonnie, Président de Thomson-CSF, et M. Mutin, du CNES.

En novembre 1979, un Bureau des Affaires Spatiales (BAS) est remis en place au siège, au sein de la DAMAS (Direction des Affaires Militaires, Aéronautiques et Spatiales), dirigée par Raymond Paul. C'est Michel Lasalle, muté au siège, qui continue d'en assurer la direction. Il est supervisé par René Bulin, chargé d'y remettre en oeuvre les Bureaux «Aéronautique et Spatial».

Pendant que la Direction Générale de Thomson veille à promouvoir et à coordonner les activités spatiales dans la Compagnie, certains directeurs d'unité se préoccupent de trouver lesquelles, parmi leurs spécialités techniques, pourraient, au prix de certaines adaptations, déboucher dans le domaine spatial. Deux grandes spécialités de Thomson sont susceptibles, a priori, de donner lieu à des développements :

- les télécommunications au sens large ;

- la localisation des objets spatiaux.
 
 

On voit donc les spécialistes de télécommunications de Gennevilliers et les radaristes de Bagneux rivaliser d'ingéniosité pour proposer des solutions aux problèmes que le CNES doit résoudre pour établir son infrastructure et pour, ensuite, exploiter ses satellites. Comme il s'agit, dans cette première phase, de satellites scientifiques, la fonction «télécommunications» se limite aux liaisons de télécommande et de télémesures. Quant à la fonction «localisa­tion», elle donne lieu à une intense activité d'avant-projets et d'études «papier», entreprise par les sommités techniques des différentes divisions.

À Bagneux, Louis Gérardin publie, en juin 1963, un mémoire sur les différents procédés de localisation des véhicules spatiaux : radar et interférométrie. À Gennevilliers, Pierre Deman va plus loin et s'intéresse à la localisation des sondes lointaines avec les méthodes de lissage et d'affinement des résultats des mesures successives. Il faut préciser qu'à l'époque circule la rumeur suivante : «Les Américains ont décidé d'explorer la Lune. Laissons-la-leur. Nous, Européens, nous allons explorer les planètes du système solaire !!!» Ce genre de déclaration, faite au début des années soixante, est à comparer bien entendu avec les réalisations effectives. Peu à peu, l'enthousiasme sera tempéré par des considérations budgétaires.

Le même Pierre Deman publie en 1962 les résultats d'une étude sur un réseau d'interconnexion de télécommunications par satellite géostationnaire, sujet très délicat à une époque où la faisabilité d'un tel réseau est très contestée. C'est au milieu de cette agitation qu'arrive, au début de l'année 1963, le premier appel d'offres du CNES pour la fourniture de stations de localisation de satellites.

Deux unités de Thomson décident d'y répondre : le Département Radars de Surface, de Bagneux, sous l'impulsion de son Directeur Technique Maurice Chabrol, et le Département Télécommunications, sous l'impulsion de son Directeur Pierre Chavance. Bagneux suggère une solution radar, le principal artisan de la proposition étant Louis Gérardin. À Gennevilliers, Claude Michaud est chargé de rédiger une proposition basée sur l'interférométrie, où les antennes devraient être fournies par la société Starec.

Face à cette concurrence entre deux unités de la Compagnie, le BAS s'abstient de tenter d'arbitrer, car les deux solutions proposées étant très différentes, les chances de gagner de la Compagnie se trouvent augmentées.

L'offre concurrente qu'il y a lieu de craindre est celle de CSF. Cette société, sous l'impulsion de Jean-Claude Simon, a déjà réalisé et présenté une maquette d'interféromètre et possède donc, en principe, une certaine avance. C'est dans le courant de l'été 1963 que le CNES décide d'attribuer son marché numéro un au Département Télécommunications de Gennevilliers qui offre un matériel plus simple et donc moins cher que celui de ses concurrents. Deux stations sont commandées et, baptisées stations Diane, installées respectivement à Prétoria et Hammaguir. Plus tard, l'ESRO commandera une station que l'on installera à Redu (Belgique). Le chef de projet de ce programme sera Rémy Baud.

La lutte, qui avait pris un ton très aigu entre Thomson et CSF sur le marché numéro un du CNES, se poursuivra à l'occasion du marché numéro deux portant sur les stations de télémesures et télécommande Iris. Mais, comme nous le verrons plus loin dans le chapitre consacré à CSF, c'est cette dernière qui l'emportera.

En fait, les matériels terrestres, à l'exception des matériels d'essais des équipements de satellites, ne feront pas, dans la suite, partie des responsabilités des unités ayant précédé la création d'Alcatel Espace. C'est pourquoi nous allons, dans ce qui suit, évoquer uniquement les matériels embarqués.

Au début de l'ère spatiale, les fréquences attribuées et utilisées pour les liaisons avec les satellites se trouvent dans la bande VHF : 136 à 138 MHz pour les liaisons descendantes de télémesures et 148 à 150 MHz pour les liaisons montantes de télécommande. Or il existe à Thomson un service, dirigé par Pierre Vivet, chargé des études de petits matériels de transmissions militaires fonctionnant dans 
la bande VHF. Ce service vient, en 1964, d'être intégré 
au Département Télécommunications dirigé par Pierre Chavance à Gennevilliers.

Lorsque le CNES lance ses appels d'offres pour équiper les premiers satellites scientifiques devant être lancés par la fusée Diamant, il apparaît évident que l'équipe Vivet doit tenter sa chance pour les matériels radio VHF. C'est ainsi que le récepteur de télécommande du satellite D1, lancé le 17 février 1966, est étudié et fabriqué à Gennevilliers sous la direction de Roland Gosmand, assisté par Jean-Paul Sigwald.

Dans le même satellite, le modeste décodeur de télécommande, étudié à Gennevilliers (huit ordres) par Sylvain Fontanes, complète la fourniture de Thomson. Il est basé sur la détection successive de deux tonalités de fréquences différentes.

Ce sont les débuts d'une longue lignée de matériels étudiés et fabriqués à Gennevilliers, Vélizy, puis Meudon, jusqu'en 1983, soit pendant une vingtaine d'années, sous la direction de Roland Gosmand avant d'»émigrer» à Toulouse où ils constitueront l'une des lignes de produits d'Alcatel Espace.

Gennevilliers n'est pas le seul centre de Thomson à tenter sa chance dans le domaine spatial. Le centre de Bagneux ne reste pas inactif. Les études de Jean-Edgar Picquendar sur la conversion thermoïonique, dérivées des activités sur les tubes électroniques, sont pendant quelque temps orientées vers une possible source d'énergie électrique à bord des satellites.

Dans le même but, M. Lemaignen mène un certain nombre d'études sur les piles à combustible. Cette dernière technique ne débouchera pas dans les satellites proprement dits mais elle sera couramment utilisée dans la navette spatiale américaine pour y produire de l'énergie électrique et de l'eau. Les radars Aquitaine et Bretagne, conçus et réalisés à Bagneux, seront parmi les matériels de base utilisés pour la trajectographie des lanceurs, d'abord à Hammaguir et ensuite à Kourou.

Enfin, c'est à Bagneux que se dessinent les premiers contours du rassemblement d'unités qui deviendra la Division MRA (Matériels Radars Aéroportés) en 1966 puis la Division MAS (Matériels Aérospatiaux) en 1969.

Au sein du Groupement Radars Engins Calculateurs, implanté à Bagneux et dirigé par Georges Galleret, le Département C, avec à sa tête Georges Boissinot, est chargé du domaine des radars aéroportés et des missiles, d'où une tendance naturelle à s'intéresser au domaine de l'électronique des lanceurs et des satellites. Deux des premiers actes du Département C dans le domaine spatial sont des propositions pour des études de phase A, en réponse à des appels d'offres du CNES. La première proposition porte sur l'étude préliminaire d'un dispositif de contrôle d'attitude utilisant le gradient de gravité.

La seconde, quelques semaines plus tard, au cours de l'automne de 1963, porte sur une étude de phase A d'un satellite astronomique qui doit remplir une mission voisine de celle du satellite américain OAO (Orbiting Astronomical Observatory) en cours d'étude chez General Electric. La CFTH et General Electric ont un accord permanent (general agreement) d'assistance technique mutuelle et d'échange de brevets, qui a surtout, jusqu'alors, été mis en pratique dans le domaine des matériels «grand public». Le moment est venu d'en tirer avantage dans le domaine spatial.

C'est ainsi que, pour recevoir une aide dans la rédaction de la première proposition, une équipe composée de Gérard Hutteau, ingénieur au Département C, M. Georgel et son collègue mathématicien M. Hubert, tous deux ingénieurs au Bureau d'Études de Bagneux, et Jacques Chaumeron, du Bureau des Activités Spatiales du Siège, partent pour une semaine chez GE à Valley Forge.

Les moyens technologiques de réaliser une stabilisation par gradient de gravité sont connus : des masselotes placées aux extrémités de tubes déroulables, dont le seul fournisseur à l'époque est de Havilland, au Canada. Pour amortir les oscillations suivant le déploiement des tubes, le seul procédé envisageable utilise des courants de Foucault et le champ magnétique terrestre. Moyennant quoi, de longs développements mathématiques sont nécessaires pour aboutir à un dispositif stable, qui veuille bien orienter le satellite dans le bon sens et non «la tête en bas», et qui ne mette pas des années pour s'amortir sur la position d'équilibre.

C'est là qu'apparaît une grande différence de culture entre les ingénieurs américains et français. Les Américains, qui disposent déjà d'ordinateurs, leur font une confiance presque absolue sans chercher eux-mêmes à utiliser les méthodes de raisonnement, parfois très simples, auxquelles sont habitués les ingénieurs français qui, eux, ne disposent pas encore d'ordinateurs, au moins pour leurs activités courantes. 

On voit par exemple M. Hubert, lassé du temps que mettent les Américains à préparer les données qui doivent entrer dans l'ordinateur et à traduire ensuite les résultats, se précipiter au tableau noir et définir en quelques minutes les zones de stabilité du système à partir du produit et de la somme des racines d'une équation du troisième degré sans terme du second degré. Il lui faudra ensuite discuter longuement pour convaincre ses interlocuteurs de la justesse d'un raisonnement qui, en France, serait à la portée de n'importe quel élève de «math sup.». Finalement, l'équipe est malgré tout en mesure de préparer une «honnête» proposition qui n'aura malheureusement pas l'honneur d'être retenue par le client.

Dans la seconde proposition, c'est une équipe composée de Pierre Schun, chef de projet, et à nouveau de Gérard Hutteau et Jacques Chaumeron, qui se présente à Valley Forge. L'accueil y est beaucoup moins enthousiaste. Visiblement, on ne souhaite pas que les Français prennent la mauvaise habitude de venir trop souvent rechercher une assistance technique qui, aux termes du general agreement, reste gratuite dans certaines limites.

Après quelques discussions, le dialogue finit par s'établir mais la proposition que rédige ensuite l'équipe Thomson pour le CNES n'est pas d'une qualité exceptionnelle. Malgré les compétences générales mises en oeuvre aussi bien en électronique qu'en mécanique, avec le soutien du Bureau d'Études de Bagneux, bien plus d'une semaine de formation aurait été nécessaire pour déjouer les pièges rencontrés dans la définition d'un satellite. Néanmoins, l'honneur est sauf et la CFTH a manifesté sa présence auprès du CNES. 

Dans les années suivantes, en 1965, le Département C 
se transforme en Division MRA (Matériels Radars Aéroportés) dont Maurice Fromaget prend la direction jusqu'en 1967. Il sera alors remplacé par Louis Julien-Binard. Sous l'impulsion de son Directeur Technique, Michel Carpentier, la Division MRA explorera les disciplines où son expérience pourra donner lieu à des applications dans le domaine spatial.

C'est à cette époque que le premier satellite expérimental du CNES, mis en orbite par la première fusée Diamant et destiné uniquement à préciser l'orbite atteinte, emporte pour seuls matériels électroniques un répondeur radar, fourni par Motorola, avec une antenne réalisée à Bagneux par le Département C, puis la Division MRA. Le lancement de ce satellite, baptisé Astérix, a lieu le 26 novembre 1965. Cette antenne, à l'étude de laquelle a participé Marcel Palazo, chef du Service Hyper­fré­quences du Département C, puis de la Division MRA et enfin du Département ESA, est une antenne diélectrique constituée d'un guide circulaire rempli de Téflon qui se termine par un «champignon» de Téflon afin d'élargir le diagramme du guide circulaire ouvert en favorisant le rayonnement latéral. Cette antenne fonctionne en bande C (5-6 GHz). Une dizaine d'exemplaires en seront vendus au CNES par le commerçant Michel Ducros. Cette antenne sera le seul matériel pour satellites réalisé par la Division MRA avant la fusion de Thomson avec CSF et l'arrivée des équipes venant de Corbeville (CSF) et Gennevilliers (Thomson).

Il y a lieu enfin de rappeler une des premières études effectuées en direction des autorités militaires : il s'agit de l'étude de faisabilité d'un satellite d'écoute et d'identification des émissions radioélectriques (SARAH). La mission à remplir doit à l'époque être relativement modeste en raison des contraintes de masse imposées au satellite : 60 kilos maximum. L'étude est effectuée au cours de l'année 1965 en collaboration entre deux équipes, l'une au GSER (Groupement Systèmes Électroniques et Radars) de Bagneux, animée par M. Villepelet, l'autre de la Divi-
sion RTT (Radio, Télévision, Télécommunications) de Gennevilliers, animée par Pierre Deman, l'ensemble étant coordonné par Jacques Chaumeron qui, initialement au BAS (Bureau des Activités Spatiales) du siège, rejoindra le Département Télécommunications de la Division RTT en septembre 1965.

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